NBA 2023-2024
Yann Ohnona : « Victor Wembanyama va changer la NBA par sa seule présence sur le parquet »
Grand reporter spécialiste du basket depuis 2010, et auteur du livre « Wembanyama « Je veux juste être moi » » (Solar), Yann Ohnona a suivi le nouvel ovni du basket sur ses deux dernières saisons dans le championnat de France et l’a même accompagné aux États-Unis pour la Draft. Alors que celui que l’on surnomme Wemby dispute son premier match de NBA dans la nuit de mercredi à jeudi, Yann Ohnona nous dresse le parcours de Victor Wembanyama.
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Quand avez-vous entendu parler de lui pour la première fois ?
Ça fait très longtemps. Le nom « Wembanyama », dans le milieu qui suit vraiment le basket, a commencé à tourner quand il avait 11 ou 12 ans (ndlr : il aura 20 ans en janvier prochain). Personnellement, ce devait être autour de ses 13/14 ans. Je ne savais pas qui il était, si c’était sérieux, mais son nom circulait. Mais mon travail en tant que journaliste à L’Équipe ne peut pas être de suivre les enfants de 13 ou 14 ans. On a trop de travail sur le milieu professionnel. En revanche, aux États-Unis, ils savaient déjà qu’un joueur de 13 ans avait un talent hors norme à Nanterre grâce à leurs réseaux de scouts en Europe.
Dès qu’un enfant est dans le giron d’un club ayant une section professionnelle, son nom filtre. Dans l’ouvrage, Frédéric Donnadieu, l’un de ses premiers entraîneurs à Nanterre et aujourd’hui président du club, me raconte qu’il a dû aller calmer Mike Schmitz, le spécialiste des jeunes talents pour ESPN, qui était en train de faire une vidéo de Wembanyama lors d’un match U15. Donnadieu ne savait pas qu’il s’agissait de Mike Schmitz.
Vous êtes déjà allé plusieurs fois aux États-Unis pour suivre Victor Wembanyama. À quel point la Wembamania a-t-elle pris outre-Atlantique ?
Ça a pris autant qu’en France et sans doute beaucoup plus. Là-bas, le basket est une activité nationale, au même titre que le football américain. Le sport professionnel émane tellement d’influence que lorsqu’un jeune talent est en train de monter, on le suit de très près. En France, il y a eu le phénomène lors de la dernière année seulement. Avec les Mets 92 de Boulogne-Levallois, il est allé à Las Vegas au début de la saison (ndlr : 2022-2023), pour faire deux matchs d’exhibition face à la G League Ignite (ndlr : sélection de la Ligue américaine composée de joueurs en développement). Alors qu’en France, il n’y avait pas encore un engouement autour de lui, là-bas, 200 représentants des équipes NBA étaient sur place pour voir ses matchs. Du délire ! C’est inimaginable ! C’est comme si tous les directeurs sportifs et les coachs de Ligue 1 et Ligue 2 de football arrêtaient tout ce qu’ils faisaient dans leur vie pour aller voir deux matchs amicaux d’un joueur de 17 ans. Ce n’est qu’à son retour que la France a compris qu’il était vraiment attendu aux États-Unis et ça a vraiment explosé.
Comment avez-vous trouvé ses matchs de présaison ?
Ils sont exactement à l’image de ce qu’on attend. Malgré toutes les personnes qui ont émis des doutes de manière automatique, comme une blessure ou le fait qu’il n’avait pas encore disputé de match de NBA. Personnellement, je n’avais absolument aucun doute que Victor Wembanyama allait s’adapter à la NBA de manière fluide. Les matchs de présaison l’ont confirmé, même s’il n’y a pas encore une grosse compétitivité. Victor Wembanyama est le joueur le plus attendu. Personne n’a envie de se prendre 20 points par lui, donc il y a déjà de la défense et l’attention autour de lui. Il fait des choses qu’on n’a jamais vues sur le terrain grâce à ses capacités techniques, qui, rapportées à sa taille, sont un alliage unique et inédit dans ce sport. En revanche, gagner collectivement, c’est une autre histoire. Aujourd’hui, rien ne dit que les Spurs vont disputer les playoffs dès cette année.
Justement, que peut apporter Victor Wembanyama à San Antonio cette saison et dans les prochaines saisons ?
La réponse sur cette année est très difficile à donner. Mais, l’évidence, c’est que partout où il a été depuis qu’il a 14/15 ans, il a changé la donne. Même si Victor Wembanyama n’avait pas encore atteint la maturité mentale, physique et technique, systématiquement, il a changé les équipes dans lesquelles il jouait. À chaque fois, l’équipe tournait autour de lui, et en général d’une manière toujours positive. Il a toujours suscité une sorte d’unanimité en réunissant les gens qui étaient autour de lui. Donc, je ne vois pas pourquoi, aux Spurs, il ne changerait pas l’équipe, d’autant qu’il est dans un contexte où il n’est pas aux côtés de joueurs qui sont des stars indiscutables.
Évidemment, il n’est pas prêt pour emmener une équipe au titre du jour au lendemain. Mais en réalité, on ne sait pas jusqu’où il peut aller. Victor Wembanyama va changer l’équipe par sa seule présence sur le parquet. J’ai même envie de te dire qu’il va changer la NBA par sa seule présence sur le parquet. Je ne pense pas que ce soit un grand mot de dire cela, je pense que c’est juste la réalité.
Il a formé un vrai staff autour de lui, avec notamment ses agents (Jeremy Medjana et Bouna Ndiaye) et son préparateur physique (Guillaume Alquier). Il fait attention aux moindres détails. Est-ce la preuve de sa maturité ?
En dehors de ses capacités physiques, Victor Wembanyama a aussi une intelligence hors norme depuis qu’il est enfant. Il a toujours été en avance académiquement, il ne passe pas sa vie sur les écrans, et il a beaucoup de loisirs qui relèvent de la technique, de l’utilisation de ses mains et de son esprit. C’est quelque chose qu’il formule lui-même dans une interview que j’avais faite avec lui en début d’année 2022. Il venait d’être majeur, et il m’expliquait qu’il préférait lire des bouquins, faire des dessins et jouer aux Lego, parce que cela l’amusait, mais aussi parce qu’il adorait travailler la technique de ses mains en lien avec son esprit. De manière traditionnelle, les joueurs de grande taille et de grandes mains n’arrivent pas à bien manier le ballon.
Essayez vous-même avec un ballon de basket ou une balle de tennis, vous aurez beaucoup plus de mal à manier la balle de tennis, parce que votre main devient trop grande et c’est plus difficile d’avoir une prise sur la balle. Eh bien, pour lui, c’est pareil. Il a donc cette intelligence qui explique pourquoi il arrive à réaliser tout cela. C’est très important cette maturité pour ne pas se laisser emporter par le raz-de-marée médiatique, des attentes, et de la pression qui pèse sur lui. C’est réellement impressionnant.
Qu’a apporté Victor Wembanyama à la Betclic Elite ?
Il a apporté une lumière, que le championnat de France n’avait jamais eue. L’intérêt qu’il a suscité va perdurer. En France, on n’a pas l’habitude de parler de basket. Seul Tony Parker provoquait ce genre d’attention généraliste. Il a créé quelque chose qui n’avait jamais été vu. L’année dernière, la NBA est allée jusqu’à acheter les droits du championnat de France pour pouvoir diffuser les matchs de Victor Wembanyama. Il faut savoir que la Ligue a aussi été invitée au match amical d’Abu Dhabi et à la Draft. Cela veut dire qu’il y a eu des discussions entre la Ligue nationale de basket (LNB) et la NBA. Est-ce qu’elles aboutiront à autre chose ? Ça reste à prouver.
Mais je ne pense pas que la NBA s’amuse à inviter des ligues du monde entier si elle ne pense pas qu’il y a quelque chose à faire avec eux. La LNB a quand même quelque chose à exploiter, même si la NBA ne diffusera pas nécessairement des matchs cette année. Il y a quelque chose à travailler par rapport à ce qui s’est passé avec Wembanyama. C’est pour cela que la ligne de communication de la LNB tourne autour de ses jeunes talents. La LNB peut, et doit, devenir la ligue tremplin vers la NBA. Et si c’est le cas, la NBA aura naturellement un intérêt.