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Enzo Djebali : « La France est en retard sur le recrutement »

Killian Tanguy

Publié le

Enzo Djebali « La France est en retard sur le recrutement »
Photo via Enzo Djebali

FOOTBALL – En charge du recrutement au Red Star, au Stade de Reims et au FC Versailles, Enzo Djebali s’occupe désormais de recruter des joueurs européens pour le FC Dallas (MLS). Auteur du livre « Recruteur » (éditions Solar), il confie les méthodes et les secrets des scouts. Pour Dicodusport, il revient sur les principes du métier, analyse les recrutements de l’OM et de OL dont les résultats ont été opposés et aborde l’avenir du football aux États-Unis.

Pourquoi le métier de recruteur est-il si peu connu ?

C’est un nouveau métier dans l’importance du football, qui est apparu avec la mondialisation progressive du sport. Avant, les recruteurs étaient souvent les entraîneurs adjoints qui sillonnaient le pays et les équipes, qui ne pouvaient bénéficier que de cinq joueurs étrangers. Aujourd’hui, grâce à l’arrêt Bosman et l’accord de Cotonou, le champ des recherches s’est considérablement élargi, ce qui a engendré un besoin de déléguer. Surtout que le mercato est devenu un business et des clubs survivent grâce aux transferts. C’est pour cela que le métier de recruteur est inscrit dans le football moderne.

Deuxième point, le recruteur est un des maillons de la chaîne, mais il ne prend pas la décision. Le projet sportif est édité par le coach et par la direction sportive. Donc comme il ne décide pas, il doit se taire sur beaucoup d’aspects et il se fait discret dans les médias.



Existe-t-il une semaine type ?

Un scout n’a pas de semaine type, car tout se fait en fonction du club et ses facteurs contraignants – la culture du club – et limitants – les lois, les salaires et les budgets du club, mais aussi le planning et le budget du scout.



Sur une semaine, un scout doit voir son équipe et en même temps observer celle des autres clubs. Cela fait 3 ou 4 matchs par semaine avec des rapports à rendre. Mais un scout est toujours dans la prospection. Faire des rapports, c’est bien, mais il faut aussi statuer, car le mercato va vite. Tout ne se fait pas pendant la période des transferts. Parfois, il se joue dès novembre. Le timing est la notion la plus fondamentale pour un scout.

Le mercato a démarré le lundi 10  juin dernier en France. Est-ce le moment où le recruteur travaille le plus ? Ou pas forcément vu qu’il n’y a plus de match ?

Le travail d’un scout est un marathon. Les semaines sont très lancinantes, car il enchaîne les rapports. En revanche, le mercato est une succession de sprints. Sur certaines périodes, le recruteur révise des dossiers déjà vus, donc c’est un travail peu énergivore. Parfois, il faut prendre une décision rapidement, parce qu’une opportunité se présente et il doit enchaîner une quinzaine de matchs avec une grosse pression. Le cœur du travail d’un recruteur n’est pas le mercato, mais il y a de temps en temps du travail et il est oppressant.

Où se situe la France par rapport aux autres pays européens et notamment les anglo-saxons ?

La France est en retard et je n’ai pas peur de le dire. En France, on aime bien être dans la discussion et dans l’émotion. Tout ce qui est systémique ou protocolaire fait peur aux Français. Beaucoup de présidents de clubs n’ont pas encore délégué leur pouvoir ou l’ont fait de manière népotique, ce qui court-circuite le processus de travail classique. En France, on aime bien donner la confiance et la reprendre, alors que dans les pays anglo-saxons, on te fait confiance. Si ça marche, très bien, on continue ; si ça ne marche pas, tu es viré. En France, on a du mal à faire des choses avant-gardistes, car chacun craint pour sa place. C’est la culture française et ça a du bon aussi.

Par exemple, être conservateur permet de créer des histoires comme Brest. Si le club avait chamboulé tout le groupe, peut-être que le résultat aurait été pire que la saison d’avant (14e en 2022-2023) alors que Brest termine 3e de Ligue 1. Si on veut que le monde du football français avance au niveau du fonctionnement du recrutement, il faut changer le sens politique du recrutement. Aujourd’hui, les clubs qui réussissent sont ceux qui mettent à niveau égal le coach, la direction sportive et les recruteurs. Lorsque tout le monde se regarde d’égal à égal, et que la parole de chacun vaut un pour un, ça marche.

L’été dernier, l’Olympique de Marseille a recruté de nombreux joueurs africains et en a payé les frais pendant la CAN. Est-ce la faute des dirigeants ou du recruteur ?

Le problème est différent et pour moi le problème n’a pas été le recrutement. L’équipe de Marseille a été marquée en termes de style de jeu par la patte d’Igor Tudor : un pressing très haut, des bases à 3 et des joueurs qui répètent énormément les volumes de courses. C’était une identité très tranchée. L’erreur est d’avoir amené Marcelino, un coach extrêmement compétent et qui l’a déjà prouvé, mais qui est un pur micro-tacticien. Il n’aime pas imposer son jeu, mais il s’adapte constamment à l’adversaire avec un bloc haut pour trouver les petites failles pour gagner 1-0 ou 2-1. Ça ne colle pas à la culture marseillaise et ça n’allait pas avec le style de l’effectif. Sur le papier, Marseille avait une bonne équipe avec de bons joueurs, mais ça a plongé l’effectif dans une sous performance et dans le doute, car il y avait un manque de repères tactiques et techniques. Je pense que l’excuse de la CAN est un peu surestimée.

Au contraire, l’OL a profité du mercato hivernal pour se redresser. Comment cela se passe-t-il pour le recruteur lors de la première partie de saison ?

Déjà, le recruteur le vit très mal. Quand les joueurs performent, vous ne partagez pas la joie, car ce n’est pas vous qui êtes sur le terrain, ni qui avez fait la composition. Par contre, lorsque les joueurs sous-performent, vous le prenez pour vous, votre tristesse et votre frustration se nourrissent de l’intérieur et elles ne cessent de gonfler. Un recruteur vit bien plus mal les mauvais résultats qu’il ne vit bien les bons.

En hiver, Lyon a terminé son mercato d’été. Le club a conservé une équipe qui pouvait être dominant sur la possession et dans la transition. Il y a eu des critiques sur le fait d’avoir dépensé 65 millions d’euros, mais ça fait partie de leurs moyens. Lyon aurait pu les mettre pour des joueurs de niveau Ligue 1 et simplement jouer le maintien. Mais ce n’est pas ce que le club a fait. Il a fait un mercato pour joueur l’Europe, en pensant au long terme.

Désormais, vous travaillez pour le club de Dallas. Est-ce que le recrutement est différent aux États-Unis ?

En MLS (Major League Soccer), le règlement est très américain avec plein de lois sur les contrats. Cela n’a rien à voir avec le fonctionnement européen du fait de l’absence d’arrêt Bosman ou d’accord de Cotonou. En revanche, je retrouve beaucoup d’aspects du monde anglo-saxon : on te consulte, on te met face à tes responsabilités et on te prend pour ce que tu es. Il y a beaucoup de solidarité, de volonté, d’encouragement et de choses dont on n’a pas forcément l’habitude en France. Par exemple, on essaie de faire participer tout le monde afin d’optimiser les qualités et les expériences de chacun.

Comment imagines-tu l’avenir du football aux États-Unis avec notamment la coupe du monde en 2026 ?

La MLS (Major League Soccer) est un projet bien différent de l’Arabie saoudite ou des pays du Golfe. Dans les lois, elle incite à recruter des jeunes joueurs avec le « Young Designated Players » qui offre des bonus financiers lorsqu’une équipe prend un jeune (moins de 24 ans). La MLS veut devenir une ligue compétitive ainsi que former et exporter des jeunes joueurs. Le vrai concurrent de la MLS n’est pas l’Europe, mais le Mexique. Les États-Unis veulent devenir le premier pays du football en Amérique, derrière le Brésil et l’Argentine, où le football n’est pas un sport, mais une religion. L’objectif est plus continental et c’est par là que les États-Unis deviendront une référence mondiale. À l’image d’André-Pierre Gignac qui est devenu une des légendes aux Tigres (Mexique), à l’avenir, plusieurs jours européens qui seront au top de leur forme pourront écrire des dynasties en MLS.

Donc pas forcément comme le font actuellement Lionel Messi (Inter Miami), Olivier Giroud ou Hugo Lloris (Los Angeles FC) qui sont en fin de carrière.

Ce sont des exemples qui sont utiles pour l’exposition. Ça permet d’amener la culture foot aux États-Unis. Actuellement, elle est complètement absente. Le pays ne connaît pas l’histoire du football. C’est grâce à ces anciennes gloires que la culture va se construire. Les Américains vont les voir jouer et découvrir leur histoire.

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