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Athlétisme

Lolassonn Djouhan : « Après ma blessure, on m’a dit que le haut niveau, c’était fini »

Etienne Goursaud

Publié le

Lolassonn Djouhan : "Après ma blessure, on m'a dit que le haut-niveau, c'était fini"
Photo Icon Sport

ATHLÉTISME – Entretien avec Lolassonn Djouhan, lanceur de disque français, qui va participer aux championnats d’Europe de Rome. Il revient de très loin, 18 mois après une très grave blessure au muscle pectoral, qui aurait pu signifier la fin de sa carrière. Il raconte comment il est revenu à son niveau, lui qui effectue la meilleur saison de sa carrière, avec quatre concours à plus de 63 mètres, dont un meilleur jet à 66.33 m. Mais Lolassonn Djouhan raconte aussi le manque de médiatisation et de considération des lancers en France, y compris de la part de sa Fédération. Alors que les performances des lanceurs sont en pleine progression.

Lolassonn Djouhan : « J’avais une chance sur 10 de pouvoir relancer à ce niveau-là

Est-ce que tu peux nous raconter le chemin de ta blessure jusqu’au retour au plus haut niveau ?

Le jour où je me blesse, je me dis que c’est la fin de ma carrière. J’étais parti dans l’optique que c’était fini. Et j’ai pris un an, pour faire ma rééducation. Mais j’étais tellement dégouté. Toute mon énergie, durant ces années, pour arriver à ce niveau-là et me blesser. Se blesser, cela arrive et cela fait partie du sport. Mais la blessure que j’ai eue, même après l’opération, on m’a dit plusieurs fois que je ne récupèrerai pas mon pectoral et son élasticité comme avant. J’avais 1 chance sur 10 de pouvoir relancer à ce niveau-là.

J’ai pris un an et demi pour me poser les questions, de savoir si c’était cela que je voulais. Au mois d’août dernier, j’ai parlé avec ma coach Magalie (Brisseault). Elle m’a remotivé. Je suis revenu, je lançais à peine à 50 mètres. Ce fut difficile mentalement, c’était une période compliquée. Je me suis accroché et j’ai bossé à mon rythme et à ma façon. Au mois de décembre, j’ai retrouvé l’envie, c’est sans doute cela qui me manquait le plus. Je me suis entraîné comme un acharné pour retrouver ce niveau-là.

Il y a eu cette compétition au Cameroun, tu gagnes un Silver et tu lances loin. Cela a été un déclic ?

Oui. C’est un déclic, car on n’a pas souvent la chance de faire des meetings à l’étranger, parce qu’avec le ranking, dans mon cas et avec ma blessure, les organisateurs ne peuvent pas se baser sur ce que j’ai fait avant. Ce qui fait qu’aujourd’hui, pour les JO, il y a des mecs qui ont lancé moins loin que moi et qui sont mieux placés. Et ils ont pu disputer les championnats nationaux l’année dernière et ont 20 points de bonus de plus que moi. Tant que je ne fais pas les championnats de France, même si je fais des bonnes performances, cela reste compliqué. Quand je lance à 65 mètres sur des compétitions « F », cela ne rapporte pas beaucoup de point. Les autres vont faire 59 dans un bronze et marquer plus de points que moi. Sauf que je ne peux pas rentrer dans ces meetings.



Lolassonn Djouhan : « Si tu as de l’argent et les bonnes relations, tu peux faire les gros meetings »

Malgré tes performances actuelles ?

Malgré mes performances actuelles. Les gens ont déjà fait leur calendrier, il y a un peu de copinage aussi. J’ai le souvenir que le meeting de Huelva n’a pas voulu me prendre, alors que la veille, les trois-quarts des lancers avaient lancé deux mètres moins loin que moi. J’avais lancé à 64 mètres. Cela se gagne au final à 63 mètres. C’est le jeu du ranking, je trouve cela nul. Si tu as de l’argent et les bonnes connaissances, tu peux faire les gros meetings. Si tu n’as pas cela, peu importe ton niveau, tu te mets une balle dans le pied.



Finalement, tu es en train de répondre sur les aires de lancers. C’est peut-être la meilleure année de ta carrière.

C’est parce que Magalie m’a fait travailler d’autres choses. J’étais focus sur le haut de corps. Mais, avec David (Brisseault), ils ont mis en place toute une préparation pour me forcer à utiliser les jambes. C’est ce qui me manquait, car je ne voulais pas trop bosser les jambes. Le fait de les avoir bossés cet hiver, on trouve de la régularité dedans.

Finalement, avec le recul, est-ce que cette blessure n’a pas été un mal pour un bien ?

Bien sûr. Cela m’a permis de travailler tout ce que je ne voulais pas travailler avant. C’est pour cela que je suis à ce niveau-là (rires).

Lolassonn Djouhan : « Cela va être la bagarre à Rome »

On est à quelques jours des championnats d’Europe, c’est l’occasion de marquer des gros points et t’offrir une belle place. Comment abordes-tu cette compétition ?

Je l’aborde en me disant que c’est une des seules compétitions où je peux marquer beaucoup de points. Il y a quelque chose à faire sur place. Je me sens bien et je pense malgré tout que je suis peut-être plus fatigué que d’autres, qui ont commencé leur saison au mois de mai. J’ai commencé en février, car je n’avais pas de points au ranking. Ça va être la bagarre sur le terrain.

Tu as prouvé récemment que tu étais encore en bonne forme.

J’avais eu un pépin à Marseille (un meeting disputé juste après celui en Martinique), une petite pubalgie, j’ai arrêté tôt mon concours. Mais cela va beaucoup mieux. Le médical est très intensif. Mon kiné, mon ostéopathe font vraiment du bon travail pour que je sois au max.

Mis à part Mykolas Alekna qui a tout explosé, les leaders européens ne sont pas forcément à leur meilleur niveau. Il y a de bonnes places à prendre.

Oui. Mais nous les lanceurs de disque, on est un peu déçus. Une compétition comme Ramona (où Alekna établit le record du monde), cela fausse vraiment les standards. Ce sont des mecs qui lancent entre 60 m et 62 mètres. Et là, ils ont tous fait 68 mètres. Tous fait les minima. Mais ils seront incapables de refaire un jet à 68 mètres. Après, Alekna, lui, fait partie des monstres. Avec Daniel Stahl et Kristjan Čeh. Quand ils sont là, ils ne feront jamais une performance sous les 68 mètres. Ils restent hors normes. Quand on reprend l’époque de Robert Harting, quand il dominait le disque, cela ne lançait pas aussi loin. Il gagnait souvent à 65 mètres, voire 66 mètres. Maintenant, pour être sur la boite, il faut faire 69 mètres.

Lolassonn Djouhan : « Jordan Guehaseim, le jour où son corps va le laisser tranquille… »

Rome, tu le vois comme une étape pour te qualifier pour Paris ?

(Il hésite). Je viens pour faire quelque chose. La question sera de savoir quel état de forme j’aurais. Mais je vais à la bagarre. Je n’ai rien à perdre et tout à gagner. Peut-être que le plateau sera très bon. Peut-être que mon timing et mon énergie sera bonne. Cela va le faire !

Le niveau mondial a progressé, mais vous les Français, vous avez aussi progressé. Est-ce que l’émulation t’aide au quotidien à être meilleur.

Si je dois répondre honnêtement non. On n’a pas l’occasion de lancer souvent ensemble. Après, si on prend le cas d’un Jordan (Guehaseim), je le vois plus comme un petit frère, qui, depuis très longtemps, devait faire ces performances-là. Jordan, c’est mon client sérieux (rires). Le jour où les pépins physiques le laissent tranquille, la bataille va se faire entre lui et moi. Ce n’est pas que Tom Reux n’est pas capable, attention. Tom Reux, je l’appelle le petit renard, tu lui laisses une chance, il te passe devant. Il est très relâché, arrive à trouver les temps de son disque. Le jet qu’il fait à 67 mètres, il y avait le vent pour faire 70 mètres pour tout le monde.

Mais c’est le seul qui n’ait pas tiré sur son disque et il a fait le jet de sa carrière. C’est du très haut niveau. En faisant 66.98 m dans le même concours. Ce n’est pas à prendre avec des pincettes et il sera un gros client aussi. Ce qui me fait mal, c’est qu’un gamin comme Jordan, il n’est pas sur les listes et a le droit à rien. Il est blessé, il doit courir à gauche à droite, payer ses kinés et chercher des solutions. Je lui ai dit, viens t’entraîner à la maison. S’il faut, je t’aide sur le staff médical. Pour le remettre sur les rails du haut niveau. Honnêtement, j’espère qu’il fera les minima, car il en est capable. Il l’a démontré à l’entraînement. C’est moi le petit vieux du groupe (rires). C’est aussi à moi de lancer loin.

Lolassonn Djouhan : « La communication autour du lancer fait qu’on est le parent pauvre ».

Les lancers français progressent énormément. Est-ce que tu espères que cela apporte une exposition sur vos disciplines ?

Est-ce que cela va changer ?

Est-ce que cela peut changer ?

D’habitude, je ne le dis pas. Mais tant qu’on ne considèrera pas les lancers comme une discipline à part entière de l’athlétisme, cela ne changera pas. La mise en avant des performances, pour les gens qui font du lancer, elle est zéro. Ils ne prennent pas le temps de vraiment nous montrer. Oui, ils vont faire des photos de Mélina, oui, ils vont prendre des photos de Quentin Bigot ou Yann Chaussinand. Mais, pour moi, la communication autour du lancer, fait qu’on est le parent pauvre. À aucun moment, ils prennent le temps de se dire : « Ok, ils font des performances incroyables ».

Quand Jordan fait 63 mètres, quelqu’un est venu de la Fédération l’interviewer ? C’est un petit jeune qui pousse et c’est motivant pour les plus jeunes de voir ces performances. Mais ils vont prendre la fille qui fait la 53e performance mondiale, qui est sur les haies, qui sera incapable de faire une finale. Mais elle aura son post sur le site de la Fédération. Alors que le même week-end, Jordan fait 63 m et 61.5 m dans la foulée.

Moi, je comprends les sponsors, on ne parle jamais de nous. Pourquoi ils vont nous aider. À quel moment on est visible ? Comment ils peuvent se dire : « Tiens celui, il a fait une belle image ». On n’a pas d’image, certains sont même surpris quand on leur dit que je vais faire les JO. Il y a des journalistes polonais qui m’appellent pour faire des interviews en anglais. Alors que mon propre pays, pour qui je me bats, il n’y a personne. Par contre, quand je m’entraînais à l’INSEP mais que j’étais éclaté au sol, oui, j’avais des sollicitations. Mais quand tu quittes Paris…

Lolassonn Djouhan : « Un jeune qui est talentueux et qui veut faire du lancer, je vais lui dire : « Fais autre chose »

Ce qui m’a traumatisé, c’est de voir Tom Reux, 2e performance française de tous les temps, moi 3e et il n’y a rien eu sur cela. Pour l’avoir vécu en grand championnat, les conférences de presse, c’est zéro. Ils vont prendre Mélina Robert-Michon, Kevin Mayer. Alors, ce sont des grands noms qui rapportent des médailles, mais on est sous-estimés et pas respectés.

Un truc tout bête, mais il n’y a pas eu de publication pour me souhaiter un bon anniversaire. Cela montre à quel point sans nous, ils se porteraient mieux. C’est dommage, car on n’a rien à donner aux jeunes qui veulent se mettre aux lancers. Pourtant, certains sont à fond, nous envoient des messages pour nous demander les performances qu’on faisait à leur âge. Les gens veulent faire du lancer. Mais si on ne leur montre pas d’intérêt, cela ne sert à rien. Un jeune qui est talentueux et qui veut faire du lancer, je vais lui dire : « Fais autre chose ». Même si tu fais 22 mètres au poids, tu ne seras pas respecté en France.

C’est aussi pour cela qu’on voulait t’interviewer. D’ailleurs, quand on parle outsiders pour les JO, il y a quelques lanceurs à mettre dedans.

En France, on a une mentalité que je ne comprends pas. Un Américain, peu importe la discipline et la performance qu’il a réalisée, quand il va se qualifier, on va lui dire : Va la chercher, elle est pour toi ». On te met en condition pour aller chercher la médaille. Là, on est qualifié et on commence à nous dire : « Vous n’allez peut-être pas avoir vos coachs, si vous n’êtes pas 3e mondial ». J’ai mal vécu Tokyo en 2016, car Tokyo, je me suis retrouvé seul. Mon coach était en visio, en décalage horaire de huit heures. À aucun moment, on est mis dans des conditions pour performer.

Journaliste et amoureux de sport. Ancien footballeur reconverti athlète quand ses muscles le laissent tranquille. Elevé à la sauce des exploits de Thomas Voeckler en 2004, du dernier essai de légende de Eunice Barber à la longueur lors des championnats du monde d'athlétisme de 2003 mais aussi Zidane, Omeyer et Titou Lamaison.

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