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Triathlon

Louis Richard : « Je ne me voyais pas mettre ma vie de sportif au placard »

Olivier Dobiezynski

Publié le

Louis Richard Je ne me voyais pas mettre ma vie de sportif au placard
Photo Activ'image/Trimaxmag

TRIATHLON – Ancien cycliste professionnel, Louis Richard a choisi en 2023 une reconversion vers le triathlon longue distance à 27 ans, avec succès. Une trajectoire particulière sous forme de double vie sur laquelle il revient longuement pour Dicodusport.

Salut Louis ! On va commencer par évoquer ta première vie avec ta carrière cycliste. Tu commences le vélo à l’US Créteil à l’âge de 10 ans. As-tu eu cette envie depuis tout petit de faire du vélo et pourquoi pas du football ou du judo par exemple ?

J’ai commencé comme tout le monde par les sports collectifs, notamment le rugby dès le CP même si cela n’a jamais été une passion. J’ai toujours été attiré par le vélo, mon papa faisait régulièrement des randonnées en VTT. Entre ça, les images du Tour de France que je regardais avec mes cousins, j’ai toujours aimé ce sport depuis tout petit. C’est surtout la notion d’effort qui a retenu mon attention, je crois que j’ai trouvé cela inspirant. De fil en aiguille, cela m’a donné l’envie de rejoindre un club pour une pratique plus sérieuse et c’est comme ça que je me suis retrouvé à Créteil.

Ensuite, tu as franchi un vrai cap en rejoignant le CC Nogent-sur-««Oise, qui est une vraie grosse structure réputée chez les Juniors.

Oui, j’avais envie de faire des courses et si tu veux courir sur le calendrier Juniors, tu n’as pas le choix de changer de structure pour avoir accès à ces épreuves. C’est même l’US Créteil qui m’a conseillé de partir pour grandir. Et Nogent, ce n’était pas trop loin du domicile familial, donc plutôt arrangeant de faire mes armes là-bas et d’avoir un premier aperçu du haut niveau. On devait même me freiner parce que j’en faisais trop…

Ah oui donc l’envie d’être professionnel était déjà présente à ce stade de ta vie ?

Un rêve oui, mais que j’ai toujours pensé inaccessible pour moi, car dans les petites catégories, mon surnom était P’tit LouisJe faisais une tête de moins que tous les autres ce qui n’aide pas chez les Jeunes pour des courses de 30 à 50 km qui se terminent la majeure partie du temps au sprint. Ce déficit de puissance me faisait toujours terminer entre 3 et 5. Je pensais donc qu’il me manquerait toujours un petit truc pour passer pro : en gros si tu n’arrives pas à gagner là, comment tu veux envisager une suite ? À un moment donné, la passion ne suffit plus et tu te dis que probablement, ce n’est pas pour toi…

Un rêve qui s’est finalement transformé en réalité progressivement et d’abord ce passage à l’EC Saint-Etienne et cette fameuse année 2021…

Ces quatre années à Saint-Etienne ont transformé mon parcours cycliste en effet. J’ai d’abord trouvé une super équipe et un super cadre là-bas qui m’ont permis de m’épanouir sportivement. Il faut savoir que je suis parti de très loin, au début, ce n’était pas fameux en termes de résultats. En fait, j’ai fait un vrai reset ensuite, j’ai beaucoup bossé pour les autres pendant trois ans avant de faire mes armes. Ensuite, c’est venu petit à petit : quelques podiums sur des courses Elites National d’abord, ce que je ne pensais jamais pouvoir réaliser. Puis, 2021 où j’ai levé les bras deux fois…



Avec en point d’orgue une très belle septième place sur le très réputé et difficile Tour de Savoie Mont-Blanc avec la présence de coureurs professionnels !

Oui un grand souvenir ! Je crois que je termine deuxième amateur au Classement Général. Il y avait Cepeda (NDLR : Jefferson Alexander Cepeda) trois jambes au-dessus, mais ensuite, c’était ouvert et cela faisait vraiment plaisir de jouer les premiers rôles sur cette course. En plus, tu montes le Galibier versant Télégraphe et tu batailles avec les meilleurs, c’est un énorme souvenir pour un grimpeur ! Néanmoins, mon plus grand moment chez les Amateurs reste ma seconde place sur le Championnat de France Amateurs (NDLR : derrière Axel Mariault et devant Paul Lapeira). C’est quand même la course de référence et passer si près d’un maillot tricolore, je me dis wouah, jamais, j’aurais imaginé ça dans ma vie en fait !



Suite à cette excellente année, tu signes donc début 2022 un contrat professionnel chez U Nantes Atlantique. Et tu démarres ta carrière par un syndrome de l’essuie-glace… Comment se sont passés ces débuts difficiles ?

Alors, il faut savoir qu’en mai 2021, je me suis dit que si je n’avais pas un nouveau challenge, j’arrêtais le vélo après cette belle année en DN1. Soit, je passais pro, soit je lâchais l’affaire. Et cette opportunité, pour laquelle j’ai pas mal poussé,  s’est présentée ! Bon et là, en pleine préparation hivernale, bam, je me blesse ! Et lors du stage de présaison avec l’équipe, en gros, je suis resté au logement pendant que les autres partaient rouler. C’était tellement frustrant. J’ai repris tranquillement début février et voilà que mi-mars, je me retrouve sur le GP de Denain.

En plus sur Denain, bonjour le cadeau…

Oui, je n’avais même pas aligné un 100 km à l’entrainement et je me retrouve sur une course pavée… En plus, je me souviens, y avait Roglic et Vingegaard qui venaient pour tester leur matos en vue du Tour. Bref, une startlist assez fournie quand même, déjà que tu as un petit syndrome de l’imposteur quand tu arrives des rangs amateurs, et en plus sous-entraîné, ce n’était pas simple pour moi. J’ai essayé d’aider l’équipe sur les courses suivantes, c’est tout ce que mon niveau permettait.

En fait, tu as réussi à bien rebondir quand même quand je vois tes résultats de seconde partie de saison avec, par exemple, un top 20 sur la route d’Occitanie ou une 25e place sur le Mont Ventoux Dénivelé Challenge !

Oui, la forme a fini par naturellement revenir à force de courir et en prenant deux ou trois échappées, et j’ai ainsi pu m’exprimer davantage sur des courses correspondant plus à mes capacités. Mais la densité est vraiment énorme chez les professionnels et t’as des World Tour qui font le déplacement maintenant pour chasser les points UCI sur les petites courses par étapes françaises. Donc souvent, j’étais encore là au pied de la dernière montée puis souvent, je lâchais et m’accrochais pour un top 20 à la pédale.

En somme, un niveau largement satisfaisant pour un coureur de Continentale non ?

Oui oui ça reste très honnête. Moi, ce qu’on m’a toujours reproché, ce sont plutôt mes problèmes de placement. C’est simple, je n’ai jamais su frotter et prendre des risques. Du coup, tu comprends mieux la douleur d’une reprise à Denain (rires). Et comme au niveau Conti, les courses pour grimpeurs ne sont pas légion, c’était difficile pour moi de se faire une place dans l’effectif. En plus, on m’a toujours reproché de ne pas pouvoir tenir un rôle d’équipier sur les courses plates, pourvoyeuses de top 10 très importants pour l’équipe.

Est-ce qu’on tient là l’explication de ta non-reconduction de contrat ?

Oui, clairement. J’ai beaucoup parlé avec Anthony Ravard, le manager, mais je n’ai appris qu’en septembre que je ne serai pas conservé. On m’a signifié que physiquement, je pouvais répondre présent et qu’au vu de mon début de saison contrarié par la blessure, j’avais sorti des performances qui auraient mérité une seconde chance. Mais le manque de garanties sur les courses plates a vraiment pesé dans la balance. Je suis aligné avec leur décision et je n’ai aucune rancœur, ce n’est pas un problème même si j’aurais aimé voir ce que je pouvais donner avec une vraie prépa hivernale. Il y a aussi le fait qu’on était plusieurs avec un profil de grimpeurs dans l’équipe, notamment Jordan Jegat. Un mauvais concours de circonstances pour moi, malheureusement.

Tu n’as pas eu de propositions d’autres équipes pour 2023 ?

Septembre, c’était déjà un peu tard pour envisager une suite. À cette période, pas mal d’effectifs sont bouclés et je savais qu’au niveau Continental, ce serait impossible de trouver un contrat. J’ai proposé ma candidature néanmoins à certaines équipes françaises, mais il n’y avait plus de place.

Louis Richard, le cyclisme dans la peau

Louis Richard, le cyclisme dans la peau – Photo Thomas Devard Photographie

On en vient donc naturellement à l’autre grand sujet qui va nous occuper, à savoir ta reconversion vers le triathlon longue distance et l’ultra endurance. Une transition très vite opérée, en fait dès 2023 ?

En fait, l’idée m’est venue antérieurement. Fin 2021, j’envisageais déjà ce type de formats si je ne trouvais pas un contrat professionnel. C’est un projet que j’avais déjà en tête et que j’avais juste mis en stand-by. Et donc à la fin de 2022, le rebond s’imposait naturellement à moi. J’en avais clairement envie et j’étais déjà suivi par un entraineur de triathlon afin de préparer l’avenir. J’ai commencé à courir et nager dès octobre, c’est pour te dire.

Ah oui donc vraiment une évidence en fait ?

Exactement et à 26 ans, je ne me voyais pas, en pleine possession de mes moyens et passionné de sport, d’endurance et de dépassement de soi, mettre ma vie de sportif au placard. Une évidence que j’allais faire autre chose en y mettant les mêmes ingrédients que ceux que j’ai mis pour le vélo avec la même envie et la même détermination.

Compétiteur un jour, compétiteur toujours, n’est-ce pas ?

C’est ça ! Je suis arrivé dans le triathlon bien sûr avec humilité vu que je partais littéralement de zéro dans deux sports sur trois, mais en me donnant les moyens pour réussir. Je n’y allais clairement pas pour être finisher et basta. En fait, je n’y aurais retiré aucune satisfaction personnelle.

As-tu complètement axé tes entraînements sur la natation et la course à pied dès le départ afin de pallier tes manques dans les deux disciplines ?

Alors, paradoxalement, pas du tout. Quand tu débutes dans de nouvelles disciplines, tu as d’abord une capacité d’assimilation très faible, donc j’ai d’abord continué à faire beaucoup de vélo. Tout simplement parce que j’étais incapable de mettre du volume dans mes séances de CAP et de natation. Ça s’est fait petit à petit. La première semaine, j’ai couru deux fois entre 30 et 50 minutes et j’avais les tendons d’achille en feu. Et j’ai mis trois jours à me remettre de ma première séance de natation. Il y a un temps d’adaptation mécanique nécessaire à la pratique d’autres sports. Ne serait-ce que si j’avais couru un 5 km à bloc en début de pratique, j’allais me détruire, j’y ai donc été très progressivement avec mon entraineur.

Un long cheminement, un long process nécessaire pour bien démarrer ?

Oui, j’ai attendu 8 mois avant de courir mon premier triathlon en compétition afin d’y avoir déjà des bases solides. Pas mettre un dossard juste pour mettre un dossard.

Comment estimes-tu ton niveau actuel dans les deux disciplines ? Penses-tu que ton niveau sur un vélo a baissé en contrepartie ?

A l’heure actuelle, les choses sont claires : la natation reste mon gros point faible. Il faut dire aussi que je n’ai pas mis l’accent dessus sur mes deux premières années de pratique. On est parti du principe que le retour sur investissement en termes de progression n’était pas du tout assuré contrairement à la course à pied. Les tirs que je me prends actuellement en sortie d’eau pourraient être rédhibitoires sur certains formats, j’en suis bien conscient. Ça va vite devenir un facteur limitant au gap au-dessus. Mais je commence à travailler plus sérieusement la discipline, je me fais accompagner spécifiquement en espérant que cela fasse baisser les chronos et améliore ma dynamique.

Bon, je vois que même en étant moyen en natation, cela ne t’a pas empêché déjà d’enchainer de très bons résultats.

En fait, j’ai eu une très bonne surprise : celle d’être naturellement un bon coureur et assez rapidement parmi les meilleurs dans la discipline ! Avec mon entraineur, on s’est curieusement aperçu que j’avais plus de prédispositions pour la course à pied que pour le vélo. Pour preuve, je me retrouvais à faire des meilleurs classements à pied qu’à vélo sur les triathlons ! Rien ne le laissait supposer parce que bon… gagner le cross du collège, ça ne veut pas dire grand-chose. Tu te dis que c’est juste parce que tu as une meilleure condition physique et une base d’endurance due à la pratique du vélo. Autre facilité que j’ai : cela ne me pose aucun problème d’enchainer vélo et course à haute intensité, ce qui s’explique par mes années de pratique bien évidemment. Je dirais même que le vélo me sert à me mettre en condition pour la course plutôt que l’inverse.

Louis Richard, triathlète de longue distance

Louis Richard, triathlète de longue distance – Photo Thomas Devard Photographie

L’Embrunman était un vrai choix fort pour toi avec son gros dénivelé…

Le but était d’aller sur des courses qui peuvent me convenir directement sur mes deux premières années de pratique. Avec mon profil de grimpeur, l’Embrunman paraissait idéal avec l’Izoard à gravir côté cyclisme (NDLR : 3600 D+ sur la partie vélo). Mais, à l’avenir, j’aimerais aller sur des profils plus variés. Mais oui, pour démarrer, j’ai fait clairement le choix de la sécurité.

Et avec le succès que l’on connait puisque tu remportes l’Embrunman en août 2024 !

Une énorme réussite pour moi, car c’est LA course qui m’a emmenée au triathlon. Quand j’ai commencé ce sport, il y avait comme objectif de parcours de remporter cette épreuve en montagne. Tu m’aurais dit : si tu remportes l’Embrunman un jour, auras-tu considéré ta transition du vélo vers le triathlon comme réussie ?  Je t’aurais répondu oui.

Ta nouvelle carrière est donc déjà une réussite ?

Réussie oui, mais le fait d’avoir eu ce succès aussi rapidement change la donne. J’aurais mis dix ans à obtenir cette victoire, je l’aurais considéré comme mon plafond dans la discipline et un aboutissement en étant content et en partant avec ça. Mais le fait d’avoir réalisé ceci en deux ans m’amène maintenant à considérer cette étape comme un jalon. Je vois désormais plus haut.

Du coup, quels pourraient être les prochains objectifs ? On pense évidemment aux Championnats du Monde.

Oui, le plus haut niveau m’attire et en Iron Man, il y a avant tout les championnats du monde, donc Hawaï ou Nice. Bon, il va déjà falloir se qualifier, car les places sont chères, ce qui sera déjà un premier objectif en soi. Et ensuite se confronter aux meilleurs athlètes du circuit en est un second. Pour quel résultat ? Cela dépendra principalement de l’évolution de mon niveau en natation. Je ne connais pas encore mon potentiel dans la discipline et ma marge de progression. Pour te faire une idée, le jour des Mondiaux, si tu sors à 15 minutes de la tête en sortie d’eau, tu vas viser top 30, top 20 au mieux, car l’écart est beaucoup trop grand et ça va trop vite devant. En sortant à cinq minutes, l’histoire peut être différente.

Quelles valeurs trouves-tu dans l’Ultra-endurance que tu ne trouvais pas forcément dans le cyclisme traditionnel ?

La première chose à souligner, c’est le mode de fonctionnement de la longue distance par rapport à celui du vélo. Il me convient beaucoup mieux à titre personnel. En cyclisme, tu enchaines les courses et tu peux rarement te présenter à 100% là où, sur les triathlons, tu cibles cinq/six courses dans l’année. Chacune est importante et tu t’y présentes en pleine possession de tes moyens avec une prépa adaptée. En outre, t’as une dynamique d’équipe à vélo que tu n’as pas forcément en triathlon où tu cours avant tout pour toi même si tu appartiens à un club (NDLR : Monaco pour Louis). Tu t’organises toi-même, tu te déplaces et tu payes tes frais de course. Derrière chaque course, il y a un sens, un objectif et en termes de caractère, ça me correspond beaucoup mieux.

Tu parles de frais de course… Quel est ton statut exactement en tant qu’athlète élite ? As-tu des sponsors ?

Alors, j’ai une certification triathlète professionnel décernée par la Fédération et uniquement basée sur des critères de performance. Je l’ai obtenue dès 2023. À partir de là, cela me permet de concourir pour le prize money sur les Iron Man, là où les Amateurs n’y ont pas accès, quand bien même, ils seraient plus rapides que nous. Je cours en tant que professionnel, mais je me finance avec ce que je gagne sur mes courses grâce à mes performances. J’ai un peu d’aide de mon équipe et très peu de partenaires à côté.

Donc, tu ne vis pas de ton sport actuellement ?

Impossible, j’ai donc un travail à côté. J’ai fait des études d’ingénieur qui m’ont amené à travailler comme responsable de production pour Look Cycles. Mais les horaires n’étaient pas adaptés à une pratique du sport de haut niveau. Je suis donc passé sur un temps partiel, mais même avec ça, mes journées sont bien rythmées. Le travail, l’entrainement, le quotidien etc. Après cela, il ne reste plus grand-chose. Heureusement, je vais passer de 80 à 60% sur mon temps partiel, ce qui devrait me laisser davantage de temps pour m’entrainer.

Dernière question : aujourd’hui, tu n’as aucun regret sur tes choix de carrière et ta trajectoire ?

Je ne fonctionne pas avec des regrets. Les choix que j’ai fait à chaque moment de ma vie se sont imposés d’eux-mêmes et c’est ce que je voulais à ce moment-là. À mon sens, ils ont toujours été hyper cohérents avec qui je suis. À partir de là, tout s’est fait de manière logique et naturelle.

Depuis le milieu des années 90, la passion du cyclisme m'anime. Mes héros s'appellent Luc Leblanc, Piotr Ugrumov, Paolo Savoldelli, Peter Sagan et bien évidemment Romain Bardet. Rédacteur depuis 2023, je suis ici pour partager cet amour de la Petite Reine. Vous pourrez me lire également sur du trail, du ski de fond et tout autre sujet susceptible d'éveiller ma curiosité sportive.

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