Cyclisme
Pierre Ammiche : « Tadej Pogacar sera le prochain seigneur »
CYCLISME – Être seigneur est réservé à une catégorie mineure de cycliste : ceux qui sont parvenus à remporter au moins une étape sur les trois Grands Tours. Aujourd’hui, ils ne sont que 106 à être présents dans ce cercle très fermé. Ancien journaliste pour RMC Sport ayant couvert plusieurs éditions du Tour de France, Pierre Ammiche les a rassemblés dans un ouvrage intitulé « Les Seigneurs des Grands Tours », aux éditions Solar. Les prochains seigneurs, les raisons du faible nombre de Français et les coureurs surprises, il nous replonge dans le passé et les plus belles gloires du cyclisme.
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Les sprinteurs sont les plus nombreux. Sont-ils vraiment avantagés ?
Oui, car s’ils sont dominants, ils ont davantage de possibilités de pouvoir s’exprimer. Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, les grands tours sont dessinés pour essayer de répondre à des problématiques différentes (davantage de montagne), mais dans les années 60/70, il y avait des étapes caricaturales. Par exemple, sur le Tour de France, il y avait seulement 4 ou 5 étapes de montagne et le reste était des étapes destinées à des sprinteurs ou des équipes de sprinteurs. Et puis, sur une saison, un sprinteur a la possibilité de briller sur deux grands tours – sur les trois, c’est rare, voire impossible – ce qui n’est pas forcément le cas des grimpeurs (qui se limitent à un grand tour, parfois deux). Surtout que pour s’imposer sur une étape de montagne, un grimpeur doit être soit très costaud, soit très malin.
La dernière fois qu’un coureur est parvenu à remporter trois étapes remonte à 2003 (Alessandro Petacchi). Est-ce que la programmation de la saison, avec une préparation spécifique sur les grands tours, empêche de faire ce triplé aujourd’hui ?
Effectivement, surtout que le niveau global s’est extrêmement densifié. Aujourd’hui, un sprinteur comme Caleb Ewan ne gagne quasiment plus… c’est dire le talent des autres ! Depuis le début sa carrière, il a remporté 61 courses. Mais ça fait 2 ans qu’il bute (sa dernière victoire sur un grand tour remonte au Tour d’Italie 2021), ce qui montre bien que c’est très dur de gagner. Même des coureurs comme Tim Merlier, Mads Pedersen, Jasper Philipsen, Fabio Jakobsen… c’est quasiment impossible pour eux.
Vous ne citez ni Tadej Pogačar ni Jonas Vingegaard, à qui il ne manque qu’une victoire d’étape sur le Giro. Pourquoi ce choix ?
Pour moi, il est évident qu’ils vont y arriver à un moment ou un autre de leur carrière. J’ai préféré citer ceux qui n’y étaient pas arrivés, ceux qui avaient raccroché ou qui avaient très peu de chances d’accomplir cet exploit et favoriser les Français. Mais clairement, oui, Tadej Pogačar sera le prochain seigneur. J’en suis convaincu. Ça semble tellement dans ses cordes, tellement il est fort et stratosphérique. Ce serait une anomalie qu’un coureur comme lui ne soit pas seigneur.
4 jours après le lancement des Seigneurs, je suis officiellement dans le Top des ventes cyclistes. Le Top 11. Déjà l’effet @ThibautPinot. https://t.co/BX3PIQ3TAn pic.twitter.com/xtLhkw90NS
— Pierre Ammiche (@PierreAmmiche) April 15, 2024
Seulement 9 Français sont seigneurs*. Sont-ils trop concentrés sur le Tour de France pour aller sur la Vuelta et le Giro ?
Ce serait plus à eux d’y répondre… Ça a été le cas pour certains coureurs comme Romain Bardet qui a mis du temps à aller voir ailleurs malgré des résultats probants. Idem pour Warren Barguil qui s’est tourné sur le Giro un peu plus tardivement. Mais parfois, c’est une histoire de conjoncture. Arnaud Démare, à 40 centimètres près, il était seigneur. Romain Bardet, à neuf secondes près, il était seigneur. Mais sur les années 80/90, c’est certain qu’un coureur comme Richard Virenque, s’il s’était aligné sur les trois Grands Tours au meilleur de sa carrière, il aurait pu prétendre y remporter une étape. Pareil pour Lucho (Luc Leblanc). Le Tour de France vampirise beaucoup, mais je dirai que ce n’est pas le seul problème des coureurs français.
Y a-t-il un coureur dont vous étiez persuadé qu’il était seigneur, alors que finalement, ce n’est pas le cas ?
(Il Réfléchit). Dans ma tête, c’était sûr qu’Erik Zabel était un seigneur (il n’a pas de victoire sur le Giro). Mais en fait, pas du tout. Il n’a fait que deux Giro et il n’a jamais gagné. Plus récemment, les frères Schleck (Andy n’a remporté que des étapes sur le Tour de France et Fränk ne s’est pas imposé sur le Giro). Idem pour Egan Bernal (il ne s’est pas imposé sur la Vuelta, ni sur le Tour de France, bien qu’il ait remporté l’édition 2019).
Désormais, vous travaillez chez LegendaryPlays (la plateforme de Non-Fungible Token de la Ligue Nationale de Rugby). Pensez-vous que les NFT vont arriver dans le cyclisme ?
Je ne sais pas du tout, mais ça ne m’étonnerait pas vraiment. Tout dépend ce que tu essayes de commercialiser, mais je ne serais pas choqué. Si tu proposes de revivre des moments historiques du vélo et que tu le proposes en mode collection, pourquoi pas ? Surtout que pour réussir à vendre ce type de produit, il faut que le sport soit porté par des locomotives populaires d’importance, et aujourd’hui, avec des coureurs comme Mathieu van der Poel, Tadej Pogačar, Wout Van Aert, Remco Evenepoel ou Jonas Vingegaard, tu touches des sensibilités différentes et des pays différents. Donc pourquoi pas ?
*Jacques Anquetil, Jean Stablinski, Bernard Hinault, Jean-François Bernard, Charly Mottet, Laurent Fignon, Thierry Marie, Laurent Jalabert et Thibaut Pinot