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Chloé Trespeuch : « Ne pas avoir peur de perdre pour gagner »

Etienne Goursaud

Publié le

Chloé Trespeuch
Photo Icon Sport

SNOWBOARDCROSS – Entretien avec Chloé Trespeuch qui va participer aux championnats du monde de snowboard freestyle en Géorgie. Elle sera engagée en snowboardcross à partir du 2 mars. La vice-championne olympique de la discipline sera une des favorites de la compétition, pour aller décrocher l’or qui manque encore à sa belle carrière. Elle se confie sur ses ambitions et son changement dans la façon d’aborder les grandes compétitions. Elle évoque aussi le statu quo concernant le BE (Brevet d’État) de ski/snow et de la passerelle qui a été enlevée pour les anciens snowboardeurs de haut niveau. Un an après, elle est toujours très inquiète pour sa discipline.

Chloé Trespeuch : « Un grand défi de ma carrière »

Quel est votre objectif dans ces championnats du monde ?

Chloé Trespeuch : J’ai envie de les aborder exactement comme j’avais abordé les Jeux Olympiques, en me concentrant sur le fait que ce soit un jeu. Et j’ai tout mis en place pour arriver en forme. Et ne pas avoir peur de l’échec et de prendre le risque de tout tenter pour jouer la victoire.

Au fil des années, vous vous êtes constituée un palmarès plus qu’intéressant. Il ne vous manque plus que l’or. Est-ce que cela est dans un coin de votre tête ?

J’aime y penser, car on fait du sport aussi pour cela. C’est un challenge de chaque instant. À chaque compétition, on repart de zéro. Peu importe ce qu’il s’est passé avant. Cette remise en question, de ne pas tout avoir acquis, c’est ce qui me permet de progresser. La victoire fait partie des objectifs que j’ai et c’est le grand défi de ma carrière. J’ai travaillé dessus et réfléchi à pourquoi il me manque ces victoires. C’est vrai que j’ai fait beaucoup de podiums. J’ai réussi à battre toutes les filles de la Coupe du monde. Au fond de moi, j’ai les capacités de gagner, mais il me manque quelque chose, pour aller jusqu’au bout.

Mais le fait d’avoir remporté une victoire en Coupe du monde en début de saison (à Cervina, ndlr), cela m’a rassuré sur le fait que j’étais capable de gagner et que je pouvais y croire. Peut-être que jusqu’à maintenant, je me refusais d’y croire et que je me contentais inconsciemment du podium et que j’assurais le podium en course. Je ne croyais pas assez en mes capacités à gagner. Je veux arriver là-bas libérée et en acceptant le risque de tout perdre pour gagner, et non assurer une médaille d’argent. C’était déjà comme ça l’an passé et même si je ne gagne pas les JO, j’étais partie à Pékin avec pour objectif de gagner. Si je ne gagne pas, c’est que les autres auront été meilleures, et je n’aurai pas de regrets à avoir.

« Avant, j’étais trop dans l’analyse »

Est-ce que vous pensez avoir progressé par rapport à la saison passée ?

Je dirais qu’en prépa physique, je me sens un peu plus prête. Je me connais de mieux en mieux et je connais mieux mes besoins sur la neige et ce que je dois travailler en préparation. J’ai augmenté le travail sur le temps de réaction, le travail avec les yeux. Cela m’aide dans l’analyse et la prise de décision. Les yeux sont hyper importants dans notre sport. On est en confrontation directe et on doit choisir sa ligne en fonction des autres. Et analyser la situation hyper rapidement.

J’ai également progressé mentalement. Je me sens plus libérée et je fais moins attention à ce que je fais comme résultat sur les dernières courses, ou la veille sur les qualifications. Que ce soit positif ou négatif, je trouve que ces émotions, ces jugements, prennent beaucoup d’énergie. Et cela peut avoir un impact sur la compétition. Alors que cela n’a aucun lien. Si on n’a pas réussi à aller vite la veille, cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas gagner le lendemain. Tout change, les sensations, la neige, la vitesse du parcours.





Jusque-là, j’étais trop dans l’analyse, évaluer si je me sentais capable de gagner et combien de pourcentages de chance j’avais de gagner. C’était un frein. Je veux prendre les courses journées par journées.

Chloé Trespeuch : « J’aborde les compétitions avec plus de sérénité »

Est-ce que ces progrès vous ont permis de mieux digérer votre médaille à Pékin, par rapport à Sotchi en 2014 ?

Oui, complètement. Parce que je vais moins dans le jugement de ce que je fais. En 2014, c’était tout l’inverse. Chaque résultat avait énormément d’importance pour moi. Quand je fais la médaille, la première chose que je me suis dit, c’est qu’il fallait que je prouve que ce n’était pas du hasard. Que je reste à ce niveau, pour ne pas décevoir les autres. C’est très dur d’attendre beaucoup de soi dans le quotidien et c’est fatiguant. Attention, je suis toujours exigeante avec moi-même.

Juste, je ne veux pas faire de la défaite un drame. Et rebondir après les échecs, c’est ce qu’on fait le plus dans une carrière. Aborder les compétitions avec plus de sérénité, c’est quand même moins fatigant. Cela aide même à gérer les victoires. En profitant sans en attendre encore plus à la suite. Cela m’a permis de bien gérer Pékin 2022, en prenant le bon côté de la médaille, en retournant ensuite au travail, comme si de rien n’était.

Vous avez parlé de l’importance de choisir sa trajectoire en fonction de l’adversaire en course. Mais avant une course, est-ce que vous êtes déjà focalisée sur elles ?

Je pense un peu aux adversaires. La veille, quand on fait de la vidéo, les coachs regardent les concurrentes. J’analyse et je regarde quelle ligne elles vont prendre, pour adapter ma stratégie. Mais je ne me focalise pas sur qui est dans ma poule au début. Je ne suis pas attachée à cela. Pour moi, dans les compétitions, on ne sait jamais ce qu’il peut se passer. Une athlète qui était outsider peut se révéler le jour J. Si mon objectif est de gagner, il faut battre tout le monde. J’analyse globalement, sans entrer dans le détail.

« Je pense avoir beaucoup à apprendre des jeunes »

Vous partez vendredi (NDLR, 24 février) mais vous ne concourrez que le 3 mars. Comment allez-vous gérer cette attente ?

Il y a un décalage horaire à assimiler. Puis on va faire monter la forme pour être au pic le jour J. On va avoir un peu de prépa’ physique adaptée. Cela va être du snow sur place, pour voir la qualité de la neige, faire de la glisse. On va sûrement faire des tests de glisse, pour choisir les bons produits en fonction de la neige là-bas. On va bien être occupés (rires).

Vous allez avoir 29 ans et vous avez plus de 10 ans au plus haut niveau derrière vous. Vous considérez-vous comme une leader de l’équipe de France ?

Non ! On est tous un peu des leaders, car on est différents dans l’équipe. Ce que j’aime bien, c’est que les filles nous prouvent qu’il n’y a pas qu’une seule manière d’y arriver. Il y a eu trois victoires en Coupe du monde de trois athlètes différentes. Cela prouve la qualité des athlètes. Il y a beaucoup d’échanges, mais je pense avoir aussi beaucoup à apprendre des jeunes. On a tous des visions différentes. Et je ne veux pas être condescendante parce que j’aurais plus d’expérience.

C’est enrichissant pour tout le monde et cela me permet de m’ouvrir à d’autres visions et de me remettre en question sur certaines choses. On est dans l’échange. Et cela apporte beaucoup d’être dans une équipe aussi forte. La concurrence est saine et on se tire toutes et tous vers le haut. Être avec de très bons athlètes permet de se tirer vers le haut de toute façon. Et l’entraînement est de meilleure qualité.

Chloé Trespeuch : « Concernant le BE de ski/snow, les choses n’ont malheureusement pas changé »

Il y a un an, vous aviez poussé un coup de gueule sur le BE (brevet d’état) ski/snow, cela en est où aujourd’hui ?

On est un des seuls pays d’Europe où il n’y a pas de BE de snowboard. Notre BE est ski et snow mais jusqu’à maintenant, pour les athlètes de haut niveau qui venaient du snowboard, il y avait une passerelle qui nous permettait d’avoir des exigences de niveau de ski, un peu inférieures à celles requises. Puisqu’on est plus fait pour enseigner le snow, il y avait cette porte ouverte, et on avait accès au BE. Cette passerelle n’existe plus et ce ne sont plus que des excellents skieurs qui deviennent moniteurs de ski et snow, et les excellents snowboardeurs n’y ont plus accès.

C’est frustrant, car les coachs de snow vont être obligés de venir du ski. Car le niveau demandé en ski est tellement élevé. Mais ce sont deux sports totalement différents. Aujourd’hui, les choses n’ont pas changé. On est encore en discussions. On n’a pas gagné la bataille, mais on y croit toujours. On est un des seuls pays à ne pas avoir de BE de snow, cela veut dire qu’on est en tort.

C’est dramatique pour les futurs snowboarders.

Complètement, l’enseignement de notre sport va être moins bon. Cela réduit les reconversions possibles, quand on est athlète du snow. On pouvait se dire que si on n’y arrivait pas en tant qu’athlète, ou si on veut enseigner en fin de carrière, les choses étaient possibles. Ce n’est pas mon cas, mais beaucoup ont envie de partager ce qu’ils ont appris. Cela ne sera même pas possible. Cela réduit les chances de reconversion. Cela pose beaucoup de problématiques d’équité et de justice envers notre sport.

 

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Journaliste et amoureux de sport. Ancien footballeur reconverti athlète quand ses muscles le laissent tranquille. Élevé à la sauce des exploits de Thomas Voeckler en 2004, du dernier essai de légende de Eunice Barber à la longueur lors des championnats du monde d'athlétisme de 2003 mais aussi Zidane, Omeyer et Titou Lamaison.

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