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Cyclisme

L’Histoire du Tour : Armstrong et la mort de l’Empereur

Jordane Mougenot-Pelletier

Publié le

Abaca

C’est l’histoire d’une domination qui n’a jamais eu lieu. C’est l’histoire d’une entrée dans l’histoire qui aurait pu être héroïque, qui est aujourd’hui méprisée. Le Tour de France 2003, celui d’Armstrong, Ullrich ou Vinokourov, c’est l’histoire de mecs pris dans l’Histoire et dans des histoires.

L’Histoire d’abord du Tour de France. Plus grande course du monde, plus grand événement sportif du monde, on en passe. Cette année-là, donc, le Tour de France fête son Histoire, son Centenaire. Les organisateurs ont vu les choses en grand. Animations spéciales de la caravane, étapes dans les villes majeures du premier Tour (Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Nantes) avec classement annexe en prime. Tout est mis en place pour que la fête soit belle et tout le monde a un peu envie d’y croire.

« Le Club des Cinq comme je l’appelle »

D’autant que l’occasion est belle d’écrire une nouvelle page de l’Histoire du Tour de France. Lance Armstrong est passe de remporter un cinquième Tour de France et d’intégrer le fameux « Club des Cinq », cher à Thierry Adam. Et même s’il est facile aujourd’hui de prétendre le contraire, beaucoup ont là aussi envie d’y croire. Malgré les premiers doutes, les premières preuves et les performances surhumaines. Pourtant, presque tout le monde a au fond de lui cette envie de se dire que tout n’est pas perdu. Et que Lance Armstrong et toute son équipe US Postal tournent à l’eau claire. En étant les heureux bénéficiaires d’une préparation exclusivement centrée sur le Tour.

L’Américain sait pourtant que rien ne sera moins facile. En effet, jamais l’opposition n’a été aussi préparée et en capacité de remettre en cause sa domination. Jan Ullrich d’abord, Alexandre Vinokourov ensuite, Joseba Beloki, Ivan Basso ou Haimar Zubeldia. Ils sont nombreux à pouvoir ou en tout cas à prétendre finir sur la plus haute marche de la boîte devant le Texan ? L’histoire leur prouvera qu’ils n’auront jamais eu aussi raison, ou aussi tort.

Lance Armstrong maillot jaune à Luz-Ardiden en 2003

Lance Armstrong maillot jaune à Luz-Ardiden en 2003 – AFP

Bande d’Aussies

La première semaine du Tour de France 2003 rappelle que le sprint, en ce temps-là, se jouait entre une bande d’Aussies (O’Grady, Cooke, Mc Ewen). Mais aussi avec le géant norvégien Thor Hushovd, le vétéran Erik Zabel et surtout Alessandro Petacchi. L’Italien mettait tout le monde d’accord en remportant 4 sprints sur 5. Le maillot jaune change d’épaules comme la puce change de chien. L’US Postal rigole. Elle rappelle à tout le monde dans le chrono par équipe entre Joinville et Saint-Dizier que le Tour de France n’est plus le Tour de France mais son Tour de France. Coquetterie supplémentaire, c’est Victor Hugo Peña, coéquipier du « Boss », qui prend la tête du classement général. De quoi voir venir la deuxième semaine avec sérénité.

De la sérénité, il va falloir en trouver dans les rangs de la formation américaine. Pas tellement pour faire face aux attaques d’un Richard Virenque qu’on a débarrassé voilà cinq ans de ses ambitions de podium et de victoire finale. Pas non plus pour lutter contre les coups d’éclat d’Iban Mayo qui n’aura pas les jambes pour résister dans les chronos à venir. Non, comme chez George Lucas, la menace est fantôme. De celles qui ont fait que le Tour de France est LA course à gagner. De celles qui font que Lance Armstrong, Johan Bruyneel et l’US Postal déploient une armada de moyens financiers, techniques, médicaux, chimiques et logistiques pour la remporter.

Bicyclette incontrôlable, Armstrong dans le terrain

L’incertitude, le fait de course, le hasard, la beauté du sport, on peut l’appeler comme on veut. L’incertitude d’un été caniculaire qui nous oblige au confinement aux heures les plus chaudes de la journée. Quand d’autres pédalent sur un bitume à moitié fondu. Le hasard d’une roue arrière qui se fait la malle, d’une bicyclette devenue incontrôlable et qui propulse Joseba Beloki à terre, deuxième au classement général. Bilan, des fractures du fémur, du coude ou du poignet.

La beauté du sport qui envoie Lance Armstrong, funambule et Maillot Jaune, « dans le terrain » se jouer des bosses. Mais aussi de la terre sèche et des trous pour retrouver quelques mètres plus loin le même bitume à moitié fondu qui avait envoyé Beloki au tapis. Lui, le « Boss », est indemne, toujours Maillot Jaune.

Armstrong touché mais pas coulé

La même incertitude, le même hasard, le on ne sait quoi, qui trois jours plus tard lui feront montrer des signes d’une défaillance que le nouvel Armstrong n’avait encore jamais montré sur le Tour de France. Celui d’avant le cancer, le Texan qu’on attendrait sur des classiques ou au mieux des courses d’une semaine, le coureur qui avait dû abandonner lors de 3 Tours de France sur 4, le certes champion du monde ambitieux mais qui n’avait ni la caisse ni les moyens de s’imposer sur un Grand Tour, celui-là, oui il y était habitué. Mais pas le Lance Armstrong d’après 1999.

Cet Armstrong-là, le « Boss » incontesté – ou presque, du cyclisme mondial, n’avait jamais semblé aussi fragile que dans ce chrono, pourtant sa spécialité, à Cap’Découverte sur la route des Pyrénées. Il faut dire aussi que Jan Ullrich semble avoir appris des années passées, être peu ou prou dans la forme de sa vie et atomise la concurrence. Total, l’Américain deuxième de l’étape est relégué à 1 minute et 34 secondes de l’Allemand vainqueur. Le classement général n’avait jamais semblé à ce stade de la course aussi incertain depuis 5 ans : Armstrong, Ullrich et Vinokourov se tiennent en 51 secondes à l’issue de la 12ème étape.

Lance Armstrong part dans le terrain quand Joseba Beloki chute

Lance Armstrong part dans le terrain quand Joseba Beloki chute – AFP

Ce qui s’écrit sur les routes du Tour de France est de l’ordre de la tragédie. Chaque année, il en va d’un combat entre un vainqueur et une centaine de perdants. Cette année-là, en 2003, jamais peut-être la France n’avait eu autant les yeux de Chimène pour Jan Ullrich, seul coureur, pensait-on, capable de renverser le colosse Armstrong. Pour tuer l’Empereur, il faut pouvoir faire preuve de force, de courage, mais aussi de rouerie, de malice. Ce jour-là, le 21 Juillet 2003, Jan Ullrich en a singulièrement manqué.

Tragédie ullrichienne

Lance Armstrong et toute la troupe des coureurs du Tour de France montent vers Luz-Ardiden, Lance Armstrong n’est pas impérial, Jan Ullrich mène la meute. Lance Armstrong s’égare un peu trop près sur le côté vers les spectateurs, il en frôle un. Il chute avec Iban Mayo. Jan Ullrich est devant, au classement général il n’y a que 15 secondes qui séparent les deux hommes. Une éternité en temps Armstrong. Ce 21 Juillet-là, Jan Ullrich aurait pu accélérer, laisser Lance Armstrong se relever en lui mettant d’office 30 secondes dans la musette. Mais Jan Ullrich obéit à un code d’honneur qui veut qu’on n’attaque pas un adversaire à terre. Encore moins un Maillot Jaune. Encore moins Lance Armstrong. L’Allemand laisse son plus grand rival revenir sans avoir esquissé le début d’un commencement d’attaque. Il n’en fallait pas tant pour l’Américain qui, non content de se relever et de rejoindre le groupe Ullrich. Le Texan attaque, finalement, pour le rejeter à quelques 40 secondes et mettre 2 minutes dans la vue de Vino.

Jan Ullrich n’a pas su, n’a pas pu, n’a pas voulu tuer l’Empereur. C’est l’Empereur qui le met à mort. C’est à Luz-Ardiden que Lance Armstrong a gagné le Tour de France, pas à Nantes où, même sans sa chute Jan Ullrich ne serait pas parvenu à refaire son écart sur l’Américain. Quand bien même il était en mesure de gagner l’étape.

Pour parachever la légende de ce Tour de France 2003, Jean-Patrick Nazon remporte au sprint la plus prestigieuse des arrivées groupées sur les Champs-Elysées. Il est le dernier Tricolore à ce jour à l’avoir fait. La légende est tenace.

JMPPMJ

 

Journaliste/rédacteur depuis mai 2018 - Dans mon sang coule à la fois le feu des penne à l'arrabiata et la glace du Grand Colombier. Amoureux des belles lettres et des Talking Heads, je supporte un club olympique. Intéressé par les relations qu'entretient le sport avec la société, je m'intéresse autant à Marc Cécillon qu'à Pep Guardiola, à Tonya Harding qu'à Philipp Roth. Enfant des 90's, on ne me fera pas croire qu'il y a eu plus beau à voir depuis Zinédine Zidane, Marco Pantani et Pete Sampras. La béchamel est une invention du diable, la Super Ligue aussi.

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