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Athlétisme

Jona Aigouy : « Je dois vendre mes meubles pour financer mon rêve olympique »

Etienne Goursaud

Publié le

Photo Yann Le Gal

ATHLÉTISME – Interview avec Jona Aigouy, qui a conquis le titre au javelot aux championnats de France Élite à Albi, onze mois après son opération au genou. Un enfer, après une blessure terrible le 22 mai 2022. Un parcours du combattant qui a abouti à un record personnel (58.12 m) et ses larmes après sa performance. La lanceuse nous raconte sa longue rééducation. Aujourd’hui encore, elle s’estime loin d’être à 100 % de ses moyens. Jona Aigouy vise les JO de Paris et est en train de mettre en place des choses pour aboutir à son rêve. Et succéder à Mathilde Andraud, dernière française à avoir participé aux JO au javelot. C’était à Rio en 2016.

 

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Après le jet, les larmes. Mais les larmes de bonheur. Jona Aigouy a laissé parler son émotion, après avoir battu son record personnel de près de deux mètres au javelot. Lors des championnats de France élite à Albi. Pour porter son record à 58.12 m et conquérir son second titre de championne de France. De l’émotion, car la lanceuse revient d’une blessure très grave au genou, contractée au mois de mai 2022. Qui l’a éloignée des pistes pendant un an. Une blessure qui aurait pu mettre fin à la carrière de l’athlète de 24 ans. Mais qui a su se relever et repartir sur le chemin de l’entraînement.

Jona Aigouy : « Ce concours des élite est celui où j’ai le plus stressée de ma vie »

Tu es championne de France moins de onze mois après ta grave blessure, on imagine ton émotion avec ce record personnel en prime.

Tu as tout dit, je ne peux rien dire de plus (elle rigole).

Raconte-nous ce concours.

Ce concours, c’est celui où j’ai le plus stressé de toute ma vie. Je n’ai jamais été dans un état de stress aussi intense. Je venais pour gagner et c’était un objectif devant moi durant toute cette période de rééducation. C’était ma carotte au bout de cette année difficile. Tout au long de l’année, je l’ai dit haut et fort que je voulais être championne de France élite.

« Quand mon genou lâche, je me dis que les JO c’est fini pour moi »

Quand ton genou lâche en 2022, quelles sont tes premières pensées ?

Quand mon genou lâche, la première chose que je me dis, c’est que Paris 2024, c’est fini pour moi. Parce que j’avais l’impression que la blessure était trop grande, trop difficile. Je m’en veux vraiment d’avoir réagi comme cela. Mais quand je me blesse, que je vois ma rotule et mon tibia de travers, je me suis vraiment dit que je n’avais pas la force pour réussir à me relever. Je m’en veux d’avoir hurlé ça dans le stade.



Au fur et à mesure de cette journée, j’ai franchi des marches psychologiques. Cela passe par : “Je n’ai pas la force”. Puis : “Oui, mais peut-être”. Jusqu’à arriver au bout de la journée où je me suis dit que je ne pouvais pas rendre les armes avant de m’être battue.



Tu as eu peur pour ta carrière ?

Oui clairement. Mais rapidement, je me suis remise dedans. J’ai commencé à prendre de la hauteur par rapport à ma situation et réfléchir un peu plus de manière rationnelle. À ce moment-là, je me dis : “Maintenant, comment je fais, quelles sont les étapes et avec qui j’ai envie de faire cette rééducation. Comment j’ai envie de la faire”. Et à partir du moment où j’ai commencé à réfléchir et à organiser cela, sans me dire : “Pourquoi cela m’arrive ?”, en bref au lieu de m’enterrer dans quelque chose de négatif, je me suis dit : “Comment je fais pour me relever et revenir plus forte”.

Jona Aigouy : « Mon genou a super mal réagi »

Il se passe trois mois entre ta blessure et ton opération.

Il y a plusieurs types de blessures au genou. Ils ne réagissent jamais pareil à ce type de blessures. Pour ma part, le genou a super mal réagi. Ma jambe était très enflée, je ne pouvais pas plier le genou, aucune flexion. Surtout, j’ai perdu énormément de muscles directement après la blessure. Tous les muscles de ma jambe se sont « désactivés » par mesure de protection. Quand je suis allée voir le chirurgien, il m’a dit qu’il ne pouvait pas m’opérer tout de suite et qu’il fallait que je fasse une rééducation pré-opératoire. Je me blesse le 22 mai au second tour des interclubs et je me fais opérer le 31 août, plus de trois mois plus tard.

C’est une éternité…

Ce qui est vraiment dur, c’est que tu te fais opérer après cette phase de rééducation. Et tu repars en arrière. Tu reperds du muscle, de la flexion et de l’extension. Et le genou est de nouveau enflammé, avec de l’eau dedans. Cette seconde phase, pour moi, a été encore plus dure. Même si je le répète, chaque genou est différent et ce qui m’est arrivée n’arrivera pas forcément à d’autres personnes. J’ai une copine qui s’est fait les ligaments croisés et trois semaines plus tard, elle était en boite à danser. Moi, trois semaines plus tard, j’avais du mal à mettre mes sous-vêtements (elle rigole). Mais j’ai dû recommencer tout à zéro. Pour me reconstruire à nouveau.

« Il y a deux mois, je ne marchais pas normalement »

Cela se passe comment cette rééducation post-opératoire ?

Au début, tu apprends juste à contracter ton quadriceps. Tu fais des contractions volontaires où la jambe ne va pas forcément bouger. Tu apprends à faire remonter ta rotule, à la faire redescendre. Il y a un travail sur les ischios jambiers. En fait, tu ne peux pas faire grand-chose. Tu réapprends à marcher progressivement.

Tu as mis combien de temps pour marcher normalement ?

Il y a deux mois, je ne marchais pas normalement (NDLR : elle avait déjà repris la compétition).

Ah oui ?

Il y a un phénomène qui s’appelle le flessum au genou. Tes ischios sont tout le temps activés et les quadriceps tout le temps inhibés. Tu as toujours cette petite flexion sur le genou et tu n’arrives pas à le tendre complètement. Mon flessum, je le garde pendant neuf mois. Cela fait que deux mois que c’est terminé.

Tu as mis combien de temps pour refaire des séances de javelot ?

Dès que j’ai pu me lever et marcher, je suis allée en salle de musculation pour lancer des balles, assise contre un mur. J’ai commencé à lancer trois semaines après l’opération. D’abord assise. Puis j’ai lancé des balles debout, puis des javelot debout, puis de profil. Puis avec un pas, puis une impulsion, puis des petits pas d’élan. J’ai tout reconstruit sur mon lancer, en partant sur ce que je voulais faire.

Jona Aigouy : « Mon vrai retour a été aux élite »

Et ta première séance « normale » ?

Je pense ne pas avoir encore fait de séance normale.

Ta première compétition a été sur l’ile de la Réunion en avril. Tu as ressenti quoi au moment de lancer ?

À la base, je ne voulais pas faire cette compétition. Dans ma tête, je m’étais fait toute une histoire sur cette première compétition, qui devait être quelque chose de très important. Je voulais être prête dès la première compétition. Je me retrouve à l’ile de la Réunion à participer à cette compétition, pour que mes frais de stage soient remboursés. Sinon j’aurais dû payer mon billet d’avion pour participer à ce stage. Du coup, je participe, mais afin de dérouler et de faire un entraînement mesuré. Je lance à 49 mètres, ce qui est totalement inattendu. Je lance presque en marchant.

On est loin du beau et grand retour, mais c’est encourageant à ce moment-là.

Pour moi, mon vrai grand retour, c’est aux championnats de France élite. Et encore, je ne suis même pas sur élan complet sur cette compétition. Toutes les compétitions faites, sont sur élan réduit. Je fais les interclubs pour aider mon club, je n’étais pas censée lancer, mais le club avait vraiment besoin de moi. Je fais une performance à 52 mètres, là aussi complètement inattendue. Déjà aux interclubs, émotionnellement, j’étais un peu tendue, c’était l’anniversaire de mon genou, car je me blesse au second tour en 2022. Cette performance, sur trois pas d’élan, je ne m’y attendais pas.

« Ma blessure m’a permis de davantage m’ouvrir au monde »

Tu arrives aux élite et tu bats ton record de près de deux mètres. Là non plus, tu ne t’y attends pas ?

Pas du tout. Je voulais gagner, mais je ne pensais pas être capable de faire cette performance à ce moment-là.

Est-ce que cette blessure n’est pas finalement une force pour toi ?

Je pense que cela m’a permis de davantage m’ouvrir au monde, de voir qu’il y avait plusieurs façon de fonctionner pour y arriver. J’avais un mode de fonctionnement particulier et j’ai pu voir de nouvelles techniques, discuter avec de nouvelles personnes. J’ai pu avoir plus de légèreté sur mon entraînement. Auparavant j’étais sans doute trop stricte avec moi-même, sur le plan d’entrainement et mes croyances. J’ai pu prendre plus de hauteur.

J’ai profité de la blessure pour me former. J’ai pu faire deux stages en Finlande. Le premier était un stage de formation. On est parti avec les entraîneurs. Notamment chez Tero Pitkämäki (NDLR : ancien champion du monde de la discipline). Avant les France, j’ai fait le choix d’aller m’entraîner seule pendant dix jours, avec un entraîneur finlandais. Je suis allée chercher des informations et de la concurrence dans une nation forte du javelot.

Jona Aigouy : « On me demande souvent quand est-ce que la rééducation est finie »

Tes 58 mètres, tu les attribues à tes progrès techniques ?

Oui c’est évident. Car physiquement, mes jambes sont à 60 %. J’ai optimisé tout ce que je pouvais sur le haut du corps. Mon haut du corps est capable de lancer très loin. Mais je ne suis pas encore sur des bases stables sur mes jambes. Cette performance est due à une évolution sur ma technique de lancer.

Quand penses-tu être opérationnelle à 100 % ?

C’est marrant, car c’est une question que tout le monde me pose quand on est en rééducation. On te demande : « Ce sera fini quand ? ». C’est très dur d’y répondre, car chaque genou est différent, comme je l’ai dit. Ce n’est pas parce qu’on dit qu’à telle date précise, cela ira mieux, que ce sera forcément le cas. S’il le faut, je serais prête avant, ou s’il le faut, je le serai après. La seule chose que je me dis, c’est que c’est une blessure de temps. Il faut que je respecte le temps, tout en continuant à pousser et me renforcer et m’améliorer.

« J’ai conditionné mon cerveau en lui montrant qu’il y a peu de risque que je me pète »

Est-ce que tu penses qu’il y a un frein psychologique ?

Je me suis posé cette question le jour même de ma blessure. Notamment la question de comment je pouvais faire pour poser cette jambe gauche (elle accentue sur la phrase). Comment trouver la confiance d’aller lancer à fond sur ma jambe de blocage. J’ai rapidement répondu à cette question, en me disant que je préfère prendre le risque que ça pète à nouveau plutôt que de jamais prendre de risque et que cela ne marche pas. J’ai tellement travaillé sur cette confiance en mes jambes, sur ce retour de blessure que je n’ai désormais plus besoin d’y penser. Je n’ai pas d’appréhension. C’est marrant, car quand j’ai commencé à poster des choses sur les réseaux sociaux, sur ma réeeducation, j’ai récu énormément de messages d’athlètes qui avaient eu les croisés et qui me demandaient des conseils.

Et la question de la confiance revenait régulièrement. Cette confiance je l’ai reconstruite avec ce risque de me blesser mais d’y aller à fond. Si tu ne prends pas de risque, tu ne peux pas réussir. J’ai énormément bossé en imagerie mentale, pris énormément de vidéos de mes séances techniques, durant toute ma rééducation. C’est de l’ordre de trois ou quatre séances vidéos par semaine. J’ai suivi toute l’évolution, j’ai un google drive avec des miliers de vidéo. Et je regarde ces vidéos en me disant : « Regarde, tu lances et ta jambe ne casse pas ». Statistiquement parlant, sur des milliers de jets, il n’y a qu’une fois où cela lâche. Normalement ça ne devrait pas casser (rires). J’ai conditionné mon cerveau en lui montrant qu’il y a très peu de risques que cela pète.

Jona Aigouy : « Je vais devoir voyager pour marquer des points »

Ce titre et cette performance te donnent de la confiance pour la suite ?

C’est ma première performance signée pour la qualification aux Jeux Olympiques. Avec les nouvelles règles du ranking, les performances rapportent des points (NDLR : 40 pour un championnat de France Elite). Pour moi, je suis à 1/5.

Ces JO vont être le fil rouge pour toi.

Exactement.

Cela va passer par une performance à réaliser ? Ou cela passe par autre chose ?

Mon objectif est d’être régulière autour des 60 mètres. Puis chercher des compétitions, avec des bons points au ranking.

Tu vas devoir faire des sacrifices en 2024, notamment financiers.

Pour accéder à mon rêve, il faut aller chercher de gros points bonus. Sur de grosses compétitions. Cela implique de beaucoup voyager. Ce qui veut dire que je vais devoir financer ce reste. Pour aller à l’étranger. J’ai économisé de l’argent pendant un long moment. À côté de mes entrainements, je fais des baby-sittings, j’ai été surveillante dans un internat. J’ai également donné des cours pour subvenir à mes besoins. En me disant qu’un jour, j’en aurai besoin. C’est maintenant que j’en ai besoin. Pour aller chercher cette qualification olympique. Je vais vivre sur mes économies, mais aussi de mes aides étudiantes. Je suis en troisième année de psychologie à distance. Et j’ai des bourses d’études.

Il y a également mon mécène actuel, Boissière & fils. Une entreprise de Millau. Je suis également en train de vendre mes meubles pour essayer d’aller gratter les derniers euros qui me manquent, pour avoir les moyens de me payer cette année olympique.

« Je vais donner le maximum pour accéder à ce rêve »

Tu n’as qu’un partenaire ?

Pour le moment oui.

Pour toi, c’est plus dur pour un lanceur et une lanceuse ?

Je pense que oui. Avec le palmarès que j’ai eu plus jeune, avec la médaille aux FOJE, les titres de championne de France jeune, mais aussi la médaille de bronze aux championnats d’Europe, n’importe quel sprinteur aurait déjà eu un sponsor. Du moins plus de moyens que moi aujourd’hui.

Cela fait peur de se dire que tu es obligée de vendre des biens personnels pour financer ton rêve.

Je me dis que cette année, je donne le maximum pour accéder à ce rêve. Et si cela marche, j’espère que cela peut débloquer des opportunités pour moi. Si cela ne marche pas, je serai dans l’obligation de devoir davantage me concentrer sur mes études.

C’est un peu triste, car tu es la meilleure française. Et si cela ne marche pas en 2024, tu es obligée de renoncer à une passion. Tu n’as pas peur de te mettre la pression ?

Je suis quelqu’un de déterminé et quand j’ai envie que quelque chose, je mets tout en place pour que cela marche. Dans n’importe quelle situation, je pourrais trouver des solutions. Cela fait partie du jeu et je dois me plier à ces règles.

Jona Aigouy : « Il faut s’adapter aux règles du ranking »

Tu as une idée de comment va se décliner ta saison prochaine ?

J’aimerais faire une saison hivernale en Australie. Car il y a de gros points de ranking à aller chercher. Le circuit australien est sans doute plus accessible qu’en Europe. Et prendre plus de points là-bas. Ensuite, j’aimerais rentrer en Europe.

Tu te sens capable de faire les minima ?

Je ne peux pas te dire. Stratégiquement, j’opterais davantage sur le ranking. Mais c’est une discipline particulière. Je prends l’exemple de Sigrid Borge qui a été pendant plusieurs mois la meilleure performeuse mondiale, avec un jet à 66 mètres. Tout le reste de sa saison, elle a été autour de 54 ou 55 m. C’est tellement technique et pointu, qu’un petit timing ou placement différent peut te donner ou enlever cinq mètres. Et tout peut arriver. Il ne faut pas non plus se mettre de limites. Mais je préfère viser le ranking.

Ce ranking a changé la donne. On calcule avant de faire la compétition.

Ce sont des nouvelles règles et un nouveau jeu. Et il faut s’adapter aux règles sinon on perd. Il faut jouer avec. Même s’il y a des inégalités niveau points. Aujourd’hui, les meetings Diamond League donnent énormément de points. Ce sont des meetings où tout le monde n’a pas accès. Être dans un petit pays peut être un avantage. Je pense qu’on pourrait réévaluer les points, car il y a de trop gros écarts. Des meetings où les points sont trop élevés. Après cela évite que quelqu’un sorte une performance de nulle part et soit qualifié. C’est quand même une prime de régularité. Pour moi, la Diamond League doit être un objectif. Tout comme ma participation aux JO en 2024 et faire une bonne place en 2028.

Journaliste et amoureux de sport. Ancien footballeur reconverti athlète quand ses muscles le laissent tranquille. Elevé à la sauce des exploits de Thomas Voeckler en 2004, du dernier essai de légende de Eunice Barber à la longueur lors des championnats du monde d'athlétisme de 2003 mais aussi Zidane, Omeyer et Titou Lamaison.

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