Tennis
Jules Marie : « Beaucoup de gens ne croyaient pas du tout en mon projet »

TENNIS – Aujourd’hui âgé de 32 ans et 231e mondial, Jules Marie a lancé pendant le COVID une chaîne Youtube avec pour objectif de filmer ses exploits et dévoiler les coulisses du circuit professionnel. Celle-ci compte maintenant 125 000 abonnés, et a lancé une mode chez les tennismen qui n’hésitent plus à se mettre en avant. Marie va aussi atteindre ses objectifs tennistiques qui étaient de disputer les quatre tournois du Grand Chelem. Le Caennais nous a accordé une interview au Challenger 125 de Porto, pour parler de la manière dont il concilie ses deux carrières.
Jules, dans quel état de forme es-tu arrivé ici à Porto ? Et peux-tu nous parler de ton match de simple [défaite 6-3 6-1 au premier tour], que s’est-il passé ?
État de forme un peu bizarre. Je sors d’Ajaccio que j’ai gagné [tournoi ITF 25], et après j’ai fait deux premiers tours de suite [ITF 25 à Nottingham, et Challenger 50 à Segovia]. Donc un peu mitigé. Quand on fait deux premiers tours de suite, on fait deux matchs en deux semaines, et donc on n’a pas de rythme. Du coup je suis arrivé motivé et confiant parce que j’avais bien joué ici l’année dernière et j’aimais bien les conditions. Et puis finalement j’ai été complètement absent sur le match, ça ne s’est pas du tout passé comme prévu. Je crois que c’est la première fois que ça m’arrive depuis la reprise de faire un match aussi catastrophique. C’était dingue d’être autant absent, je ne savais plus trop où me mettre. Et je n’ai aucune explication.
🎾 Grooosse désillusion en cours pour Jules Marie 🇨🇵, mené 6-3 2-0 par Domingues
Il a une demi-finale à défendre ici au Chall 125 de Porto. S’il perd aujourd’hui, il chuterait… 287e mondial
Il demande du soutien, même au B : « arrête de filmer Bapt, et encourage-moi » pic.twitter.com/QNlmPMfxRL
— Tom Compayrot (@Tom_Cprt) July 30, 2024
Pour attaquer le sujet principal, peux-tu nous parler de la genèse de ton projet YouTube, quand et pourquoi tu t’es lancé ?
C’est mon frère [Arthur Marie] pendant le COVID qui a créé la chaîne YouTube et s’est dit qu’il allait faire une vidéo par jour pendant 30 jours. Parce qu’il donnait des cours de tennis en physique, mais on ne pouvait plus le faire. Donc il s’est dit qu’il allait donner des conseils tactiques et tennistiques en ligne. Lui a été classé 2/6 et a surtout été coach. Puis après je suis venu sur les vidéos, et les vidéos marchaient un peu mieux avec moi. Donc on s’est demandé comment on pouvait proposer du contenu facilement et régulièrement. Et puis les tournois du circuit français [CNGT] venaient de reprendre, donc on s’est dit qu’on allait me filmer tous les week-ends sur les tournois. Ça a commencé comme ça. Et puis au fur et à mesure on a eu de plus en plus d’abonnés.
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Après il y a eu un petit tremplin à Roland-Garros 2020 quand j’avais été sparring-partner [partenaire d’entraînement] avec Novak Djokovic, j’ai atteint 15 000 abonnés. Puis un deuxième tremplin à l’Open de Caen 2021 [un tournoi d’exhibition en fin d’année] où je gagne Lucas Pouille, David Goffin et Ugo Humbert. Là on passe de 20 000 à 25 000 abonnés. On s’est dit que ça serait top de reprendre le circuit ATP. Moi parce que j’avais envie de jouer les 4 Grands Chelems, je sentais que j’avais le potentiel pour le faire. Et puis en dehors du tennis, on avait pour objectif de montrer aux gens les coulisses du circuit ATP, la vie d’un joueur professionnel en partant de zéro jusqu’aux Grands Chelems.
Il y a d’autres chaînes comme ça qui existaient et t’ont inspiré au moment où tu t’es lancé ? Ou tu as un peu lancé une mode ?
Maintenant il doit y en avoir une dizaine sur Instagram et YouTube. Mais non je crois que j’étais le premier à faire des « vlogs tennis », à raconter la vie d’un joueur. Au début, c’était moi qui faisais les montages, et c’était une catastrophe. Il n’y avait aucune transition, et on ne filmait même pas les matchs… Après j’ai acheté une GoPro, c’était moi qui l’installais sur le court, c’était une bonne galère. Finalement on s’est rendu compte que les GoPro ne tenaient que 45 minutes, donc j’ai dû en acheter une deuxième que j’installais à la fin du premier set. Et s’il y avait un troisième set, on était morts. Donc au début c’est moi qui faisais tout, et puis on a embauché quelqu’un, puis un autre, puis un autre… Et quand j’ai repris le circuit ATP en février 2022 on a embauché un vidéaste professionnel.
Tu apprécies cette double vie d’influenceur et joueur de tennis ? Ça fait beaucoup de choses à gérer en même temps…
J’adore, c’est plaisant de faire ça. Même si ce n’est pas toujours évident de concilier les deux, il y a beaucoup de choses à gérer. Les sponsors, même si j’ai mon frère qui est mon agent et s’en occupe, je dois quand même superviser. Je dois aussi gérer les personnes qui travaillent avec moi. Et puis j’ai mes entraînements, mes matchs, mes problèmes persos dans la vie de tous les jours… Ce n’est pas évident mais j’aime bien.
Cette chaîne te met-elle une pression supplémentaire sur tes résultats ? Tu es un peu obligé de te justifier auprès de tes fans à chaque défaite…
Oui ça je le sens. Mais après 2 ans et demi de circuit, j’ai prouvé à tout le monde que l’objectif était réussi : faire les 4 Grands Chelems. Normalement je devrais faire l’US Open [les qualifications], je prie pour ça. Donc objectif atteint, je n’avais pas annoncé plus que ça. C’est sûr qu’il y a eu beaucoup de personnes qui n’y ont pas du tout cru au début, qui se sont moqués de moi quand ils m’ont vu arriver avec un vidéaste au tout début. Ça parlait beaucoup sur moi au début. Une personne m’a dit encore récemment qu’il y avait plein de ragots qui circulaient sur moi, mais que maintenant plus personne ne parlait, parce que j’ai prouvé qu’ils avaient tort.
À ton avis pourquoi ton projet était mal vu à l’époque ?
En fait j’avais fait une cagnotte participative. J’avais signé un budget de 300 000 € sur une année avec mon frère qui prenait en compte l’embauche d’un vidéaste à plein temps, d’un coach et d’un kiné, ainsi que tous les frais… Et tous les joueurs n’ont rien compris parce qu’ils se sont dit que c’était très loin de ce qu’ils payaient. Ils n’ont pas lu le détail de tous les postes de dépense, et notamment de toute la partie audiovisuelle. Donc c’est pour ça que quand j’allais en tournoi, je sentais des regards pas cool à mon égard. Mais maintenant vu que ça se démocratise, qu’il y a beaucoup de ces joueurs justement qui font des stories instagram, des réels, ça a changé. Ils ont compris que ça marchait comme ça pour avoir des sponsors.
Aujourd’hui ton projet est viable financièrement ? Les dépenses YouTube n’empiètent pas trop ?
Aujourd’hui je suis à zéro. Les sponsors que je reçois et les frais engagés pour le projet s’annulent. Ça s’équilibre.
Ces sponsors t’assurent une sécurité financière aujourd’hui. Tu ne les aurais peut-être pas eu sans ta chaîne YouTube…
Bien sûr. Quand j’ai repris le circuit pro, j’avais dit à mon frère que je voulais bien reprendre, mais que ça allait coûter 60 000€ l’année, sans coach, sans vidéaste etc. Ça, ce sont des dépenses habituelles pour les joueurs. Donc j’ai dit que je ne voulais pas mettre d’argent de ma poche. Je l’ai déjà fait pendant 5 ans avant [pendant sa première carrière de 2010 à 2015], avec l’aide de mes parents, j’avais fait un crédit à la banque…. J’ai dit que je ne voulais plus refaire ça. Après j’avais fait 6 ans en CNGT, j’avais bien gagné ma vie et mis de côté, et je ne voulais pas que cet argent-là passe dans un projet qui coûte super cher. Donc il fallait trouver des solutions.
C’est une fierté aujourd’hui d’avoir ce succès médiatique ? Par exemple à l’Open d’Australie c’est arrivé aux oreilles de Novak Djokovic qui connaissait ta chaîne…
Oui c’est une fierté parce que j’ai été le premier. Avec l’aide de mon frère, c’est lui qui a eu l’idée au début, pas moi. Mais c’est une fierté. Et puis j’ai montré que j’ai trouvé un système qui permet de financer un projet tennis. Ce qui est le nerf de la guerre pour tous les joueurs.
Remember tennis player/YouTuber Jules Marie?
Well, it turns out Novak Djokovic knew all about his YouTube channel (!) and reached out to practice during the week of Australian Open qualifying (!!)
They had a quick interview in French afterwards.
Amazing gesture @DjokerNole 👏 pic.twitter.com/FmVCIsta6z
— Bastien Fachan (@BastienFachan) January 25, 2024
Et comment tu vis la popularité qui découle de cette chaîne ? Même quand tu es à l’étranger comme ici tu as des fans qui viennent te soutenir et te demander des photos, tu dois aussi beaucoup te faire reconnaître dans la rue…
Pour l’instant j’adore. Après j’imagine les Roger Federer ou Novak Djokovic ça doit être limite invivable, parce qu’ils ne peuvent pas sortir dans la rue sans avoir 10 personnes qui déboulent sur eux pour une photo. A mon humble niveau c’est super, mais je pense qu’au-dessus ça doit être dur à vivre.
Tu disais avoir envie de montrer les coulisses du circuit secondaire, est-ce que tu penses que c’est une partie du tennis qui mérite plus de médiatisation, de visibilité, comme tu y contribues ?
Oui je pense. D’ailleurs ce qui est cool c’est que maintenant en Future [ITF] il y a pas mal de streaming, en Challenger il y a la Challenger TV qui diffuse tous les matchs… Et puis le niveau de jeu est très très bon. Et c’est intéressant je trouve de voir des joueurs qui évoluent. Car les Carlos Alcaraz, les Jannik Sinner sont aussi passés par les Challengers. Suivre des jeunes de 17, 18 ans ou même des joueurs comme Constant Lestienne qui ont fait beaucoup de Challengers avant de gagner et d’aller sur le circuit principal. On le voit sur mes vidéos et après on le voit en Grand Chelem, c’est quand même sympa je trouve. Ma chaîne met en lumière les circuits secondaires et maintenant les Grands Chelems du coup, et ça montre bien les différences entre ces circuits. Et aussi les problèmes qu’on vit, mais aussi les victoires et les moments sympathiques.
As-tu pensé à l’après-carrière ? Tu as une reconversion toute trouvée avec ta chaîne.
Je ne sais pas encore ce que je ferai, mais j’imagine que oui, la chaîne va m’ouvrir des portes. Je vais évidemment continuer à faire du contenu dessus, pourquoi pas commenter des matchs, lancer une chaîne Twitch avec peut-être une émission tennis hebdomadaire, à mi-chemin entre Sans-Filet de Winamax et Popcorn [de Domingo, sur Twitch]. Mais pas seulement pour parler du circuit ATP, mais d’autres choses avec des invités, des jeux… J’aimerais bien.
Pour finir, quels sont tes objectifs ?
Faire les 4 Grands Chelems cette année, j’en ai déjà fait trois et j’espère vraiment le quatrième. Ça serait vraiment trop bien. Après, monter dans le Top 200 avant la fin d’année, me qualifier pour l’Open d’Australie. Et puis l’année prochaine, essayer de mieux jouer en Challenger que cette année, pour l’instant ce n’est pas trop ça. Essayer de faire régulièrement des quarts et demi-finales, et pourquoi pas de gagner mon premier Challenger. Tout ça pour essayer de monter dans les 150, et puis après tout est possible.
Fin des péripéties pour Jules Marie 🇫🇷 qui va donc jouer ce Wimbledon 2024
Il vient littéralement d’apprendre qu’il allait jouer, au dernier moment.
Ça commence dans très peu de temps. J’ai l’impression que ça sera contre Luca Van Assche 🇫🇷 pic.twitter.com/KkEEv3zbzz
— Romain 🎾🇫🇷 (@RomainNextGen) June 24, 2024