Jeu de paume
Lea Van Der Zwalmen : « Je compte bien aller chercher ce petit bout d’histoire rien qu’à moi »
JEU DE PAUME – Meilleure spécialiste française et récente finaliste de l’Open de France, Lea Van Der Swalmen nous a raconté ses performances dans la discipline et dans d’autres sports de raquette, son parcours, sa rivalité avec Claire Fahey et ses nombreuses ambitions dans tous les domaines, avec en point d’orgue les prochains Championnats du monde.
Bonjour Lea, comment ça va ? L’état de forme est bon ?
Je me remets de mon weekend de compétition, je suis rentrée avec de belles courbatures et des émotions mitigées. D’un côté, j’étais contente d’avoir fait de gros matchs, et de l’autre, un peu frustrée parce que le score en finale reste sévère. Mais je suis aussi contente du retour à la vie réelle après ce genre de weekend, ça fait du bien.
Visiblement, le score de la finale (6-1, 6-2) ne représentait pas la physionomie de la rencontre…
Déjà, il y a une stat marrante : notre finale qui est au meilleur des trois sets a duré plus longtemps que celle des hommes qui est au meilleur des cinq ! C’est dire si ça a bataillé. J’étais donc face à ma grande rivale, l’Anglaise Claire Fahey, qui est n°1 mondiale et invaincue en simple depuis 2009. Pour moi, c’est vraiment la Serena Williams du jeu de paume, et puis elle a un statut « professionnel », puisqu’elle est employée par un club, et elle ne fait que ça toute la journée.
Moi, j’ai un statut amateur, j’ai un travail, donc en termes de charge d’entraînement, c’est le jour et la nuit entre nous deux. Elle, c’est sa vie, elle chasse les records. Moi, c’est plus pour le plaisir, le dépassement de soi. Ça fait depuis 2018 que j’ai migré vers le jeu de paume, et ça fait deux – trois ans que je commence à la titiller. Mais elle a vraiment ce sang-froid sur les moments clé, et l’agressivité, parce qu’elle rentre vraiment sur le terrain le couteau entre les dents, jusqu’à envoyer des « come on » dès le deuxième point.
Je suis plus décrite comme « élégante », plus dans la beauté du point, et quand je repense à la finale, il y a eu plusieurs fois où je menais 40/15 sur mon service, et j’ai eu moins de lucidité, quelques mauvais choix stratégiques. Elle a choisi un style de jeu plus risqué que la normale, et ça a payé. J’ai plus joué la sécurité. Il faut que j’accepte parfois de jouer plus risqué, quitte à faire la faute. Mais ce qui était bien par rapport à nos autres rencontres, c’est que physiquement et techniquement, je me suis sentie à armes égales. Avant, elle avait toujours un ou deux coups qui me prenaient en défaut. Là, j’arrivais à couvrir, dans l’échange, c’était 50/50, me manquait juste le fait de « tuer le point ». Parce qu’il doit y avoir 80% des jeux qui sont allés à « avantage », et certains ont duré 10 minutes.
Mais ce qui fait plaisir, c’est qu’elle sent que je me rapproche, je sens que l’écart se resserre, pour la motivation, c’est super. Et la saison est importante pour moi, parce que les Championnats du monde n’ont lieu qu’une année sur deux, là, ce sera en mai, et sur terrain neutre aux États-Unis. Donc, je suis motivée à bloc pour aller chercher la victoire, il faut que je me prépare, il faut que j’arrête d’utiliser des éléments de langage comme « créer l’exploit ». Oui, sur le papier, ce serait un exploit, mais là, je me rends compte que j’en suis capable. Mentalement, j’ai un gros travail à faire d’ici mai.
Justement, comment tu as abordé ta finale, sachant que tu jouais la meilleure joueuse du monde qui t’avait déjà dominé six fois en finale de Grand Chelem ?
En toute honnêteté, je n’y vais pas pour gagner. J’y vais en me disant « tant qu’à perdre, je vais essayer de faire durer le plus possible ». Au départ, j’y vais avec la volonté de lui rendre la tâche très difficile, mais je me rends compte que j’y suis en fait. En réalité, je la respecte trop. Je mesure le palmarès qu’elle a (43 titres du Grand Chelem désormais, NDLR), et je me dis « elle est pro, pas moi, elle s’entraîne quatre fois par semaine, la logique veut qu’elle gagne ».
Je dois sortir de ça, de ce complexe, me dire que j’ai tout autant de talent, et qu’aujourd’hui, je peux prétendre à la battre. Je sens que ça s’atténue au fur et à mesure que les années passent. Je sens que j’ai les armes, et lors de cette finale, le masque est un peu tombé, j’avais moins de complexes. Et pour l’objectif du mois de mai, je dois y aller avec le couteau entre les dents, me faire violence, arriver moins en mode « Bisounours ». S’il faut gagner avec des coups moches, ou des coups chanceux, on y va.
Le statut de professionnelle de Claire Fahey, c’est quelque chose que tu pourrais atteindre ?
Non. Être pro, ce sont de vieilles notions, ça n’a rien à voir avec d’autres sports. Déjà ça veut dire s’affilier à un club, et gagner sa vie en donnant des leçons, parce qu’il n’y a pas assez de prize money dans les tournois. Personnellement, j’ai peu d’intérêt à prendre le statut pro. Je fais au mieux avec mon statut amateur, mon club à Bordeaux est super, mais j’ai peu de partenaires d’entraînement à mon niveau. En préparation pour les Mondiaux, il faudra que je monte me préparer à Paris pour challenger d’autres bons joueurs.
Mon équation du succès, je sais à quoi elle ressemble, je sais ce dont j’ai besoin pour me mettre en ordre de marche. Après, c’est une question de volonté, de discipline. Par exemple, je suis une bonne vivante, j’aime les bons repas, me faire deux ou trois verres de vin de temps en temps, et parfois, mon hygiène de vie laisse à désirer. Mais en rentrant de l’Open de France, je n’ai pas fait ça, je dois faire quelques sacrifices. Je dois être « pro » dans tous les sens du terme sans l’être sur le papier. Et c’est peut-être quelque chose qui m’a manqué lors des derniers tournois.
Tu avais réussi à remporter un Grand Chelem en double (l’Open de France 2022 avec la Néerlandaise Saskia Bollerman, NDLR). Tu avais senti un changement après ce titre ?
Un peu, oui, mais le double, je l’aborde vraiment différemment, j’y vais vraiment pour jouer avec des potes, des joueuses avec qui j’ai des affinités. Et on ne va pas se mentir, cette fois-là, Claire (Fahey) jouait avec une joueuse très mal classée, et on a construit une stratégie pour la mettre « au frigo » et canarder sa partenaire, qui a fini par craquer. Et Claire, ça l’a fait déjouer, c’était intéressant de voir qu’elle n’a pas bien géré cette situation-là, elle s’est un peu écroulée. Mais sans l’avoir oublié, cette victoire ne signifie pas grand-chose, pour moi, c’est vraiment le simple qui définira ma carrière.
Outre le jeu de paume, tu pratiques également le Rackets, sport dans lequel tu es d’ailleurs l’unique championne du monde de l’histoire (5 fois, NDLR), en ayant d’ailleurs battu Claire Fahey lors de la dernière édition…
Alors, pour te faire l’historique, à la base, je suis joueuse de squash. En 2013, ma famille a déménagé en Angleterre, j’avais tout juste fini mes années juniors de squash, et je voulais passer à autre chose. Et l’école anglaise (Clifton College, NDLR) que j’ai intégré avait un terrain de rackets. Sachant que je faisais du squash, c’est Clifton College qui m’a conseillé d’essayer ce sport. J’ai essayé, j’ai adoré, et j’ai très vite commencé à faire toutes les compétitions juniors. Mais j’ai appris que les femmes n’avaient que depuis peu le droit d’y jouer parce que c’était considéré comme trop dangereux.
Venant du squash, je n’avais aucun a priori sur ce sport, et j’apprends donc que les premiers Mondiaux pour femmes vont avoir lieu en mai 2015. Et la grande favorite, c’était justement Claire Fahey. Je ne la connaissais pas à l’époque, on se joue en finale et je la bats pour remporter les Mondiaux. Du coup, elle annonce sur les réseaux sociaux qu’elle laisse tomber le Rackets et qu’elle se concentre sur le jeu de paume. De mon côté, je continue, mais je commence à m’ennuyer un peu, car il n’y a pas grand monde en face.
Et après avoir défendu mon titre en mai 2017, je décide de me lancer dans le jeu de paume à fond, notamment pour voir à quel point elle est forte. En 2018, je suis à fond, je suis à l’université en Angleterre, j’ai le temps, je peux m’entraîner jusqu’à trois heures par jour. En 10 mois, je passe de Top 20 à n°2 mondiale. Et mon objectif principal, c’était d’être championne du monde de Rackets et de jeu de paume dans la même saison, ce qui n’a jamais été fait.
Et en début de cette année, pour me titiller à son tour, elle a annoncé se remettre au Rackets. Sauf qu’en secret, elle s’est entraînée à fond. Et moi, je ne joue plus au Rackets, parce que c’est vraiment un sport anglophone, et à Bordeaux, on ne pratique pas. Donc, je me suis pointée aux Mondiaux cet été la fleur au fusil, et on s’est rencontrées en finale, et je vois qu’elle est super entraînée et qu’elle joue très bien.
La finale commence, et je me retrouve rapidement menée 2-0. Je suis dos au mur, et je prends un peu une claque. Je n’étais pas réadaptée au Rackets, et j’étais déjà en paix avec le fait de perdre, de céder mon titre. Mais j’avais un bon groupe de supporters qui étaient présents, et je me suis dit que j’allais faire durer pour eux. Mes supporters ont vu que j’étais tête basse, et ils ont commencé à me booster en mode stade de foot. Les Anglais n’avaient jamais vu ça ! Et la dynamique s’est inversée de nulle part, j’ai fait une remontada de l’espace, même dans la dernière manche, j’étais menée et j’ai renversé la tendance. J’ai gagné, et psychologiquement, ça lui a fait mal.
Et la finale de l’Open de France du weekend dernier, c’était la première fois qu’on se rejouait depuis lors. J’ai senti qu’elle était fragilisée, parce que je sais que maintenant, même si je suis bien menée au score, j’ai la possibilité de revenir, et elle le sait aussi. C’était marrant, parce qu’il y a toujours une certaine dose de tension dans nos matchs. Pas jusqu’à un combat de boxe, mais dans l’esprit, avec deux camps opposés, etc. En comparaison, chez les hommes, il y a zéro rivalité, car il y a un joueur (Camden Rivière, NDLR) qui écrase tout le monde. Et ce qu’il y a de plus excitant dans le sport, c’est elle qui trône, moi qui monte en puissance, et la question est de savoir quand je passerai devant. C’est assez galvanisant de faire partie de cette rivalité.
Justement, peux-tu expliquer la différence entre le jeu de paume et le Rackets ?
Le Rackets, c’est l’ancêtre du squash, sur un terrain qui fait trois fois la taille d’un court de squash. On joue avec de vieilles raquettes en bois, avec un long manche et un petit tamis, et une balle très dure qui s’apparente à une balle de golf. On joue contre un mur frontal, avec des lunettes, et on fracasse la balle à plus de 250 km/h. C’est vraiment un sport de fou furieux, qui se joue principalement en Angleterre et aux États-Unis.
Le jeu de paume est un sport français qui a connu son apogée au XVe siècle, et qui est à l’origine de tous les sports de raquette au monde. Cela se joue de part et d’autre d’un filet, un genre de mélange entre le tennis et le squash, comme un grand Padel, un terrain de 30×10 mètres. Avec des caractéristiques en plus, comme par exemple le fait de gagner le point en touchant certaines zones. Le composant stratégique est plus présent que dans d’autres sports de raquette, et c’est ce que j’aime.
Tu as débuté par le squash. Ça n’a jamais été un objectif de faire carrière ?
Pas vraiment non. Après, il faut dire que le circuit professionnel a réellement décollé depuis que j’ai arrêté, notamment sur les cinq – six dernières années. Désormais, les joueurs et joueuses dans le Top 50 gagnent bien leur vie, ce qui n’était absolument pas le cas à mon époque. Surtout, j’ai besoin d’équilibre dans ma vie, et même si j’ai toujours eu besoin de me dépenser via le sport, je n’ai jamais eu le désir d’en faire à plein temps, je pense que ça m’aurait fait péter un plomb (rires).
J’ai toujours orienté ma carrière sportive pour faire des études à côté, désormais, je fais de la gestion de projets dans l’informatique, c’est quelque chose dans lequel je m’épanouis vraiment. Et j’ai aussi la casquette de présidente du club de jeu de paume de Bordeaux, donc je fais beaucoup d’associatif, organisations de tournois etc. Tout est bien entremêlé, tout a du sens, ce n’est parfois pas facile de tout jongler, j’ai de grosses journées, mais j’arrive à bien me nourrir d’énergies positives auprès d’un noyau dur de gens autour de moi.
Tout est en place pour que je sois performante dans tous les domaines, et j’espère que ça suffira pour rapporter le titre mondial. J’espère y parvenir, pas pour moi, mais pour mes supporters et les gens autour de moi. L’objectif ultime est bien de rendre fier les gens qui me soutiennent depuis le début de ma carrière.
Justement, cette carrière, elle va durer combien de temps ?
J’admire ceux qui font ça pendant des années, comme Claire qui a souvent parcouru le globe sans réel challenge parce qu’elle n’avait pas de rivale. Je ne me vois pas faire ça. Il ne faut jamais dire jamais, je ne vais pas dire que les Championnats du monde de 2025 seront mes derniers. Mais je pense que je suis sur mes derniers mois de compétition aux quatre coins du monde et d’entraînement intensif. J’ai ma vie pro, j’ai mon sport, j’ai l’associatif, et ma vie personnelle à concilier comme je peux…
Et à 28 ans, mes priorités vont forcément bouger. Je ne me vois pas tout faire à ce rythme-là pendant plusieurs années. C’est pour ça que j’ai une motivation encore plus prononcée pour les prochains Championnats du monde, pour peut-être « prendre ma retraite » sereinement. Et pourquoi pas passer à un autre objectif, parce que je suis quelqu’un qui se nourrit de nouveaux challenges, et j’ai potentiellement un nouveau challenge sportif qui m’attend ensuite. Je n’en dirai pas plus à ce stade-là, parce que tout n’est pas fait, mais c’est peut-être une occasion de boucler la boucle.
Tu n’as pas pour volonté de battre des records comme Claire Fahey…
Non, parce que Claire a fixé des standards, en nombre de titres, qui sont inatteignables. Mon unique objectif, comme déjà dit, c’est de devenir la première de l’histoire, hommes et femmes confondus, à détenir le titre mondial en Rackets et en jeu de paume dans la même saison. Elle restera la plus grande joueuse de l’histoire, je lui laisse avec grand plaisir, mais je compte bien aller chercher ce petit bout d’histoire rien qu’à moi (grand sourire).
Tu pratiques également le Padel en compétition ?
Oui, je suis sollicitée pour aller jouer pour certains clubs, sur certains tournois, et j’accepte volontiers quand je peux le faire. Mais je n’ai pas le temps ni l’énergie pour réellement me lancer dedans. Après, tous les sports de raquette m’intéressent, ça m’est arrivé de faire du beach tennis ou du pickleball, et je trouve qu’ils sont tous complémentaires pour mon entraînement en jeu de paume. En toute modestie, si je plaquais tout pour me concentrer à 200% sur le Padel, il y aurait moyen de faire quelque chose, mais je n’ai pas cette prétention-là.
Tu souffres du manque d’exposition par rapport au niveau de tes performances ?
C’est sûr qu’on ne le fait pas pour la gloire (rires). Moi, je ne le fais ni pour la gloire, ni pour l’argent. Je ne dirai pas non s’il y en avait plus, mais ce qui m’intéresse, c’est vraiment le dépassement de soi. C’est le plaisir de me fixer un objectif pas inatteignable, mais très ambitieux, de s’engager à fond, de faire des rencontres, de se surprendre, parfois de tomber de haut, ce n’est pas toujours facile, mais cet apprentissage à travers le sport est énormément formateur.
Tu es la meilleure joueuse française. Existe-t-il une « relève » ?
Pas chez les femmes en tout cas. Après, il faut remettre un peu de contexte. Le jeu de paume, c’est 10.000 pratiquants dans le monde pour 46 salles au total. En France, il n’y a que trois salles actives, Bordeaux, Paris et Fontainebleau. Il y a 300 pratiquants, avec au maximum 10% de femmes, 40% de moins de 40 ans, et environ 10% de moins de 25 ans.
À Fontainebleau par exemple, il y a un gros club de jeunes, mais quand les jeunes partent étudier ailleurs, ils arrêtent de jouer. C’est très rare qu’il y en ait qui atteignent le haut niveau. La relève, elle n’existe pas vraiment, la meilleure carte, c’est d’avoir des profils comme le mien, qui étaient forts en squash, en tennis, en Padel, qui cherchent un nouveau challenge et qui veulent se reconvertir. On en a quelques-uns à Bordeaux, qui faisaient du Padel ou même de la pelote basque, qui atteignent vite un très bon niveau.
Ta préparation pour les Mondiaux est déjà calée ?
Quasiment. Mon calendrier de tournois est à peu près figé, il faut que je cale mes déplacements à Paris à raison d’une semaine par mois. J’aimerais aussi me trouver un préparateur mental. Il reste deux – trois détails à caler, mais mon équation du succès telle que je la conçois, elle est assez claire. Il y a plus qu’à !
Pour ceux qui seraient intéressés d’en savoir plus et suivre ses résultats, direction sa page Insta @vdzlea.