Canoë-Kayak
Martin Cornu : « L’or en individuel, ça fait vraiment plaisir »
CANOË-KAYAK – Double champion du monde et quadruple champion d’Europe chez les juniors cet été, Martin Cornu n’en est qu’au début de sa carrière, mais il déborde déjà d’ambition. L’occasion de faire un point sur son présent et son futur.
Bonjour Martin, félicitation pour cet été couronné de succès. Les objectifs ont été atteints pour toi ?
Je dirai oui et non, parce que je suis quelqu’un de très exigeant. Aux Mondiaux, l’objectif était de gagner les trois épreuves en individuel, canoë, kayak et kayak cross, mais je n’ai réussi à faire que deux médailles d’argent. J’avais le même objectif aux Europe, ce n’est pas arrivé non plus (deux titres, NDLR), mais je reste quand même très content de ce que j’ai fait. C’est une saison qui est encore plus belle que celle de l’an dernier. Et puis j’ai conservé mon titre en kayak aux Europe, ça me tenait à cœur ! Cela faisait un petit moment que je n’avais pas goûté à l’or en individuel, ça fait vraiment plaisir.
Il y aura un changement de catégorie d’âge l’année prochaine ?
Oui, l’année prochaine, je passe chez les U23, mais aussi chez les séniors. Je viserai en priorité les sélections séniors, et si ça se passe bien, je serai automatiquement sélectionné chez les U23. Si c’est le contraire, cela ne m’empêchera pas de viser une place chez les U23.
Il existe tout de même de bonnes perspectives pour les séniors, malgré la densité ?
En fait, mes résultats aux Championnats d’Europe juniors sur le kayak slalom font que mon chrono sur cette épreuve est meilleur que celui des U23. Attention, ça ne veut pas dire que je suis champion d’Europe U23, mais ça veut dire que j’avance vite. Et par rapport à ça, la fédération a fait le choix de m’intégrer au sein de l’équipe séniors sur les deux dernières manches de Coupe du monde, en Italie (du 12 au 15 septembre, NDLR) puis en Espagne (du 19 au 22 septembre, NDLR) pour les finales. Mais uniquement sur l’épreuve de kayak slalom.
La fédération t’envoie au feu directement…
C’est un peu ça oui (rires). Après, je pense que la fédération est plutôt contente de mes résultats et des médailles que je ramène. Pour moi, ça va encore être une marche de plus à franchir. L’objectif, rester soi-même sur les compétitions, et d’aller chercher une finale. La suite sera que du plus.
La fédération a un plan pour toi dans les années qui suivent ?
Non, parce que chaque année, toutes les équipes de France se remettent en cause avec des sélections. Là, je vais mettre un petit pied chez les séniors, mais ça ne veut pas dire que je serai obligatoirement de la partie l’an prochain.
Comment se passent les sélections ?
On fait une semaine de compétition en guise de sélections, avec trois courses au total. Et bien évidemment, l’objectif est d’être le plus performant sur ces trois courses. En juniors et U23, ils sélectionnent les trois premiers. Mais en séniors, c’est un peu différent depuis deux ans. C’est au choix du sélectionneur, c’est comme si on avait Didier Deschamps qui faisait sa liste. Il y a néanmoins toujours une semaine de compétition, et le sélectionneur fera son choix en fonction.
On peut le voir comme une façon de vérifier si vous avez les reins solides…
Tout à fait, mais chez les jeunes, on a plus le sentiment de se battre à la régulière. En séniors, on peut finir la semaine, avoir fait une superbe compétition, et ne pas savoir si on est sélectionnés, ce qui est frustrant.
Récemment, Lily Abriat (championne du monde juniors d’escalade) me déclarait que pour elle, la demi-finale était la course la plus compliquée dans une compétition. Tu partages cet avis ?
C’est marrant parce que c’est pareil pour moi. Je trouve cette étape plus compliquée que les autres. Les qualifications, on sait qu’on a de la marge, dans nos compétitions, on en sélectionne 30, donc il y a de l’espace. Quand on arrive en demies, il faut être dans les dix premiers, il faut montrer qu’on est présent dans la compétition, qu’on est là, qu’on veut jouer la gagne, donc on ne peut pas se permettre de faire une manche mitigée. Tandis qu’en finale, on lâche tout ce qu’on a, on n’a rien à perdre.
La pression était importante cet été, considérant le statut de la France dans cette discipline ?
En vérité, on a toujours de la pression, du stress, mais pour ma part, cela reste plutôt du bon stress. Cette saison était ma troisième en équipe de France juniors. Je connais bien le milieu, et j’ai la chance de me connaître très bien. Il y avait de la pression, mais j’arrivais toujours à me décrocher de l’enjeu.
Et puis moi, je suis un cas particulier, puisque je fais canoë, kayak et kayak cross. J’avais obligatoirement une course minimum par jour, la pression est constante. Mais quand je suis sur un site de compétition, je suis concentré sur ce que je dois faire, mais j’arrive à garder cette part de plaisir, à rigoler avec les copains. Quand je quitte le site, je coupe, je parviens à passer du temps avec mes copains et à oublier que je suis en Championnats. C’est important, parce que le fait d’y penser tout le temps prend beaucoup d’énergie.
Avec Elouan Debliquy et Titouan Estanguet, vous avez raflé les deux titres mondiaux et les deux titres européens par équipes. Qu’est-ce qui fait que ce trio a autant de marge ?
Cette année, c’est vraiment fou. Je ne pense pas que cela ait déjà été fait. Même les plus anciens du canoë-kayak nous ont dit qu’ils n’avaient jamais vu ça ! Mais là, c’était la première fois qu’on était les trois mêmes dans chaque discipline. On est très copains, très proches, on s’entraîne régulièrement ensemble, et on se connaît par cœur. C’est un avantage par équipes, tu as confiance à 100% en l’autre. Ça permet de ne pas te poser de questions, de ne pas te demander si ce passage-là sera difficile pour un autre. Ça nous a réellement aidé, mais surtout, on a tous un super niveau, on a tous fait des finales aux Championnats d’Europe et aux Championnats du monde.
Tout le monde monte chez les U23 ?
Non, seulement Elouan et moi, Titouan reste une année de plus chez les juniors. Il faudra attendre un peu pour revoir la super team (rires).
Rester sur les trois disciplines (canoë, kayak et kayak cross), c’est un objectif ?
L’objectif, c’est de continuer le plus longtemps possible comme ça et prouver qu’il est possible de faire les trois. Mais tout n’est pas encore dessiné. On n’est pas à l’abri d’une blessure, d’une mésaventure quelconque. Pour le moment, j’ai de la chance, je performe. Quand il y aura des échecs et potentiellement des non-sélections, je m’accrocherai.
Mais je n’ai pas arrêté mes études, c’est capital de continuer un double projet sportif et scolaire. Je viens d’avoir le Bac, et là, je me dirige dans une école de commerce en distanciel. C’est un projet sur quatre ans, pour me laisser le temps de m’entraîner et d’être performant aussi bien scolairement que sportivement. Plus tard, je voudrais créer mon propre business, mais on n’en est pas encore là.
C’est possible de vivre du canoë-kayak ?
C’est possible, mais peu y parviennent. On ne gagne pas des mille et des cent, on ne fait pas du foot ou du basket. C’est un sport très peu médiatisé, mais heureusement l’Agence Nationale du Sport donne beaucoup de moyens. On peut y travailler comme prof de sport détaché, ou alors dans l’armée des champions. Il y a plusieurs manières d’être « professionnel », mais l’après carrière reste importante. Quand on termine sa carrière à 35 ans – avec de la chance – la retraite est encore loin !
Comment on arrive au canoë-kayak ? Il y a beaucoup de fratries dans ce milieu, mais tu n’en es pas issu ?
En effet, mes parents n’en font pas partie. Mais mon frère en fait, c’est lui qui m’a donné envie. Il m’a dit de venir essayer au club lors de portes ouvertes. J’avais déjà essayé beaucoup de sports à l’époque, mais jamais un sport m’a procuré autant de plaisir. J’ai tout de suite adoré les sensations de glisse, le fait d’être à l’extérieur, en pleine nature, et ça m’a poussé à continuer. D’ailleurs, je suis content que ma famille ne vient pas de ce milieu. Quand je rentre à la maison, je suis heureux de décrocher, de penser à autre chose que le kayak.