Nous suivre

Athlétisme

Auriana Lazraq-Khlass (Heptathlon) : « Je ne m’attendais pas à recevoir autant d’amour »

Etienne Goursaud

Publié le

Auriana Lazraq-Khlass - "Je ne m'attendais pas à recevoir autant d'amour"
Photo Icon Sport

ATHLÉTISME – Interview avec Auriana Lazraq-Khlass, qui a détonné par sa fraîcheur et sa 12e place à l’heptathlon, aux Mondiaux de Budapest. Mais résumer la spécialiste des épreuves combinées à cela, serait très réducteur. La Française a connu une année faste, avec un record amélioré par trois fois à l’heptathlon. Pour prendre une dimension internationale. Elle nous raconte ses championnats du monde, sa progression. Et s’exprime sur sa fin de saison et une participation au Decastar. Auriana Lazraq-Khlass rêve des JO et espère être dans les meilleures dispositions pour aller vers son rêve olympique.

Auriana Lazras-Khlass : « Cela m’a fait vivre des émotions fortes »

Es-tu redescendue de ton nuage depuis Budapest ?

Auriana Lazraq-Khlass (12e des championnats du monde à l’heptathlon) : Pas du tout (rires). J’ai encore des étoiles plein les yeux. Parfois, j’y repense et j’ai encore les larmes et les émotions qui montent.

Tu t’attendais à prendre un tel flot d’émotions ?

Je n’ai pas pris cela en pleine face, car je savais ce que je voulais, en allant aux championnats du monde. À savoir, ne rien regretter. C’était la meilleure façon de vivre les championnats du monde. J’adore y aller à fond et donner autant que ce que je peux recevoir. Avec toute l’énergie qu’il y avait, j’ai reçu énormément. Cela m’a fait vivre des émotions énormes. Je ne m’y étais pas préparée et je ne pensais pas que ce serait aussi intense. Mais je savais que je serais très heureuse d’être là. Mais les émotions ont été très fortes.

C’est ta première immense expérience internationale, quelle est la différence par rapport à une compétition classique ?

Le niveau. Ce n’est pas que c’est plus impressionnant, mais comme tout est exacerbé. Dans un championnat de France, tu retrouves des gens que tu connais et que tu vois souvent. Là, j’ai vu des stars que je ne voyais qu’à la télévision. Et que je n’avais jamais côtoyées en tant qu’athlète et adversaire. C’est vraiment cela qui change. Ils ne vont rien te laisser, donc tu ne dois rien leur laisser. Et être à ton maximum.



La partie public peut être à double tranchant. Soit cela te sublime, soit cela inhibe. Il n’y a pas d’entre deux, dans ce genre de compétitions. Cela demande un tel niveau d’exigence. Sois tu fais ce que tu sais faire, soit tu te fais écraser par ce que tu voudrais faire. Je n’avais rien à perdre sur cette compétition et tout à gagner. J’ai pris ça à la légère (elle met des guillemets) et je me suis amusée pendant deux jours. Et ce n’est pas pour cela que je ne voulais pas aller chercher de grandes performances. Tout ce qu’il y a eu autour m’a aidé et m’a fait rêver encore plus que ce que je pouvais imaginer.



Auriana Lazraq-Khlass : « Je voulais donner le maximum à Budapest »

Il n’y a qu’au poids où tu as été un peu rattrapée par la pression.

Oui. Entre la session du matin et celle de l’après-midi, il y a eu un vrai changement d’ambiance. Le stade était plein. J’ai ouvert les yeux et j’ai pris une pression énorme. Tu te dis : « Waouh ! ». Même si tu n’y penses pas consciemment, que tu veux laisser ça de côté, quand tu le vois, tu ne peux pas faire autrement. Tu fais face à la réalité, ce sont les championnats du monde. J’ai mis deux essais à me remettre dedans. Je me suis dit que je n’étais pas là pour les spectateurs, mais pour faire mon heptathlon. Et je suis très contente d’avoir réussi à faire ce swipe et me reconcentrer sur moi.

Tu t’attendais à terminer dans le top 12 ?

Je dois avouer qu’à la fin de la première journée, je me suis prise à rêver du Top 8. Mais un heptathlon, ce n’est jamais parfait. Mais j’ai tout donné sur mes deux jours et je n’ai rien à regretter. Je suis hyper heureuse d’avoir atteint la 12e place. Je ne m’attendais à rien en arrivant à Budapest.

D’autant que tu es repêchée et que tu étais partie en vacances.

C’est sûr. C’était dur d’avoir un objectif précis à Budapest. Mais maintenant que j’y étais, il fallait donner le maximum et que je verrais ma place à la fin.

Auriana Lazraq-Khlass : « Toujours ce petit coup de blues de revenir chez soi »

Cela t’a apporté une exposition exceptionnelle, tu as dû le voir sur les réseaux et ailleurs. Tu as reçu une grande dose d’amour ?

Je ne m’y attendais vraiment pas. J’ai vécu mon championnat et mon heptathlon de façon incroyable. Mais je ne m’attendais pas à être aussi connue et reconnue. Après coup, je me dis que cela aurait pu être totalement l’inverse. Les gens apprécient ma spontanéité et ma joie de vivre. Mais cela aurait pu être l’inverse. Je me trouve chanceuse et j’en suis heureuse d’avoir eu ce coup médiatique. Mais je ne l’ai pas cherché. Car j’étais 100 % moi sur cet heptathlon.

Et comment revient-on à une certaine normalité ?

Il y a toujours ce petit coup de blues de revenir chez soi. J’ai mon petit appartement, je vis toute seule. Quand je suis revenue chez moi, c’était le retour à la normale. L’écart est tellement grand, qu’il faut y aller doucement. Il ne faut pas faire des choses que tu n’as pas envie de faire, il faut vraiment respirer et se dire que c’est passé. Qu’il faut revenir sur la piste et sous ta barre de muscu, pour revivre de telles émotions plus tard.

Tu as appris des choses sur comment gérer une grande compétition ?

Je ne pense pas avoir eu besoin d’apprendre. Comme tu l’as dit (on a évoqué sa progression avant le début de l’interview) j’ai eu une belle progression. J’ai été voir un psychologue du sport. Il m’a aidé à prendre confiance en moi et réussir à ne pas subir la pression de ce genre de championnat. Ce genre de compétition se travaille en amont. Avec mon psy, cela a été complètement naturel. J’étais à ma place dans ces mondiaux et je ne me voyais pas ailleurs. Et j’étais dans le moment présent, sans me poser la question de savoir si ça va aller ou non.

Auriana Lazraq-Khlass : « J’ai progressé partout »

Quelle a été ta démarche pour aller voir ce psychologue du sport ?

Je ne me reconnaissais pas trop sur ma pratique en général. J’avais beaucoup de doutes et j’étais incertaine, pas régulière dans mes efforts. Pas forcément sur le plan de l’entraînement, car j’y étais toujours. Mais mentalement, je voyais la différence quand il y avait de l’enjeu et quand il n’y en avait pas. J’en avais assez, car je voulais que tout le travail fait avec mon entraîneur, se retranscrive en compétition. C’est vraiment cela qui m’a décidé à aller voir mon psy.

C’était le déclic recherché pour passer la barre des 6000 points et faire un gros pentathlon cet hiver ?

C’est la confiance qui m’a manqué, car le potentiel, je pense qu’on l’a toutes et tous. Evidemment qu’il faut avoir du talent et je suppose que c’est inné. Mais il faut avoir la conscience du travail à effectuer, pour avoir ce genre de résultats. Et ça, cela se travaille. Aller voir un psy, ce n’est pas quelque chose de honteux. Au contraire, c’est un vrai atout et il faut s’en servir.

Tu as progressé partout ?

Oui, j’ai progressé partout. Mais on voit bien que sur certaines épreuves, je n’ai pas battu mes records de 2021. Je suis plus forte physiquement, je suis plus forte mentalement. Et je sais que cela va m’aider pour la suite. Et les records qui ne sont pas tombés, seront pour le Decastar, ou pour l’année 2024.

Auriana Lazraq-Khlass : « Progresser dans les lancers »

Le cap a été franchi quand tu fais tes 4 300 points en salle ? Ou quand tu fais 6 000 points pour la première fois.

C’est vraiment dans la continuité. On va dire que, quand je passe les 4 300, c’était le signe de mon retour. Je sortais d’une année blanche en 2022, où j’ai été opérée de la cheville. Et les 6 000 points ont été le déclic pour aller vers le niveau international.

Tu t’es fixée des axes de progression pour la suite ?

On n’en a pas encore discuté avec mon entraîneur. On a dit qu’on ferait le point après le décastar. Il me reste encore cette compétition et cela ne sert à rien de faire le point, alors que la saison n’est pas finie. Mais effectivement, je peux progresser au niveau des lancers. Le poids a été parfois compliqué. Même le javelot. Mes perfs sont régulières en 2023, mais cela ne reflète pas encore le travail technique que j’ai pu faire à l’entraînement. Il y a pas mal de choses à travailler.

Cela aiguise l’appétit pour 2024 ?

Forcément ! Les Jeux Olympiques, c’est mon rêve et l’objectif de ma vie. Je sens que je m’en rapproche de plus en plus. Je t’avoue que quand j’ai su que c’était Paris je me suis dit : « Oh non » (rires). Je voulais aller loin et dans ma tête, les JO c’était l’international et cela rime avec l’étranger. Mais plus j’y réfléchis, plus je me dis que Paris, ce sera incroyable. Il y aura un public français et connaisseur. Je n’attends que cela.

Auriana Lazraq-Khlass : « Je ne me sens pas fatiguée, autant continuer la saison »

Tu as annoncé être à Talence, ce sera ton 4e heptathlon, tu n’as pas peur d’être sur la brèche ?

C’est même mon 5e. J’en ai fait un complètement anecdotique, du côté de Forbach en début de saison. Je me sens encore en forme, à part une petite douleur au coude, je n’ai aucune douleur physique. Et cette douleur est bien soignée avec mon médecin. Je me dis autant en profiter, j’ai encore la gniaque d’aller chercher mon record et d’améliorer mes performances !

Tu es infatigable.

(Elle rigole). J’ai une grande entraînabilité.

On dit souvent que les épreuves combinées sont le marathon de la piste. Tu prouves qu’on peut enchaîner.

On travaille toute l’année pour faire ce qu’on aime. Je ne vois pas de raisons de ne pas en profiter autant que possible. Si ton corps en est capable, autant y aller. J’ai fais trois heptathlons et j’en suis à trois records.

L’objectif va être un nouveau record ?

Je ne peux pas le prédire, mais je ferai mon maximum pour le faire tomber.

Auriana Lazraq-Khlass : « Je fais de l’heptathlon, car j’aime toutes les disciplines »

Aujourd’hui, tu vis de ton sport ? Ou tu fais quelque chose à côté ?

Pas du tout, je ne vis pas de mon sport. Je fais des études de diététique.

Tu espères que Budapest va débloquer des choses ?

Évidemment. Paris 2024, c’est l’année prochaine et on a vraiment besoin d’avoir toutes les chances de notre côté pour pouvoir performer et être focus. Sans engendrer de la fatigue liée au travail qu’on doit faire à côté, pour payer le loyer et les courses.

Les épreuves combinées sont rarement exposées en plus. Tu le regrettes ?

Vraiment. Même si Kevin Mayer a fait beaucoup de travail au niveau français. C’est une discipline qui mérite d’être connue. Personne ne pense que c’est une discipline qui rassemble toutes les disciplines de l’athlé. C’est hyper complet. Les gens sont hyper admiratifs, mais personne ne connait vraiment la discipline. On espère que cela va changer.

Quelle est ta discipline préférée ?

Je n’aime pas cette question (rires). Si je fais de l’heptathlon, c’est parce que j’aime toutes les disciplines et j’aime les enchaîner. S’il y en avait une que j’aimais plus que les autres, je pense que je me serais spécialisée dedans. La réalité, c’est que selon un heptathlon, cela change. Parfois tu vas préférer les lancers, parfois les sauts. Parfois tu préfères les courses.

Auriana Lazraq-Khlass : « Mon moment préféré ? La fin du 800 m »

Quel est ton moment préféré alors ?

(Elle hésite). La fin du 800 m, quand tu vois ton total de points.

À Budapest, qu’est-ce que tu as ressenti quand tu vois ton total de points ?

J’étais hyper soulagée et hyper heureuse d’avoir pu faire mon heptathlon à mon maximum. C’est une joie hyper intense. On l’a toutes fini ensemble. C’est une joie hyper communicative dans l’heptathlon. On a toutes plein d’émotions et on le partage et c’est hyper beau.

Cela surpasse la fatigue des sept épreuves ?

Oui largement, sinon on ne ferait pas un tour d’honneur (rires). J’ai pu en profiter à Budapest, même si je n’étais pas 100 % satisfaite de mon 800 m. Faire ce tour d’honneur, être applaudie par tout le public. Cela prend aux tripes, c’est beaucoup de reconnaissance du public et des émotions positives. C’est magnifique.

Journaliste et amoureux de sport. Ancien footballeur reconverti athlète quand ses muscles le laissent tranquille. Elevé à la sauce des exploits de Thomas Voeckler en 2004, du dernier essai de légende de Eunice Barber à la longueur lors des championnats du monde d'athlétisme de 2003 mais aussi Zidane, Omeyer et Titou Lamaison.

Clique pour commenter

Laisser un commentaire

Vos commentaires sont pris en compte mais ne s'affichent pas actuellement suite à un souci technique.


Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *